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Article publié le 9 juin 2006. oOo 8
Et toi Alexis Léger tu avais une égale passion pour l’histoire naturelle. Dans ton îlet de Saint-Léger-les-Feuilles tu aimais à te perdre dans le fouillis de racines de feuilles et de fleurs, parmi les fougères les cubèbes et les bromélies de la haute forêt. Caché sous les lianes géantes tu écoutais le chant de la pluie et celui des perroquets. Le soir tu t’endormais dans « l’Habitation du Bois-Debout » et ta chambre se changeait en pont de navire où tu te rêvais flibustier caraïbe entouré de ces lézards diaphanes que leurs pattes-ventouses plaquaient sur les murs laiteux. Dès l’âge de huit ans tes parents t’avaient offert une barque une longue-vue et un cheval. Un jour que tu naviguais à la pointe de l’îlet à Feuilles, tu mis ta barque au mouillage et t’installas sur le rivage pour observer les batailles de crabes. Soudain tu vis sortir de la mer un crâne humain monté sur pattes tout ce qui restait d’un naufragé que les courants avaient drossé à la côte. Le crâne était devenu le refuge d’un gros bernard-l’ermite.
Cette vision te marqua longtemps. Comme Jünger ton contemporain tu aimais l’entomologie. Les coléoptères te fascinaient. Dans le jardin en pente de ta maison poussaient des essences de plantes rares qu’un de tes aïeux avait fait venir d’Asie. Ces plantes abritaient des myriades d’insectes que tu recherchais avec curiosité. L’un d’eux surtout t’attirait le taupin lumineux encore appelé « tape-marteau » il se détendait comme un ressort quand on le plaçait sur le dos et ses yeux luisaient dans la pénombre. Tu avais observé que les papillons se posaient sur des rochers où ils se rechargeaient en énergie et reprenaient force pour les vols à venir. Tu attendais avec un mélange de peur et de volupté la venue des cyclones quand la pression baisse, quand la lumière change quand l’air se fait plus lourd, quand la bise faiblit et quand les feuilles s’immobilisent. Aux orages d’été tu aimais voir tomber la foudre en mer. Dès le premier coup de tonnerre les navires ancrés dans la rade hissaient un paratonnerre. Depuis l’îles à Feuilles tu suivais les manoeuvres avec ta longue-vue.
Plus tard, devenu Saint John Perse tu écriras dans un fragment d’Éloges : À présent laissez-moi, je vais seul Je sortirai car j ai affaire : un insecte m’attend pour traiter. Je me fais joie du gros ceil à facettes anguleux, imprévu, comme le fruit du cyprès... Plus tard encore, au moment de recevoir le prix Nobel, tu concluras ainsi ton discours de Stockholm « Face à l’énergie nucléaire, la lampe d’argile du poète suffira-t -elle à son propos ? - Oui, si d’argile se souvient l’homme. Et c’est assez pour le poète, d’être la mauvaise conscience de son temps. » |
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