C’est une femme jeune qui parle d’une voix éveillée mais qui parfois retombe à demi-dormeuse. Elle parle de quoi ? De l’intensité d’un amour si mélangé de corps, et des parfums d’un corps, qu’on ne sait pas, qu’on ne sait plus ce qui est de l’ordre de l’amour et ce qui est de l’ordre du désir. Elle dit, cette voix, la fièvre de la femme qui a tout et qui a peur de tout et ce tout dont elle a si peur, c’est la totalité de la perte toujours possible, c’est la métamorphose jamais évitée ni jamais évitable du rêve en cauchemar. C’est pourquoi la voix est brève, vibrante, apeurée bien sûr, avec des accents d’enfance parce que l’enfance, au sein de l’amour adulte, est le dernier refuge. Ici, en pays d’enfance, la douleur hésitera peut-être à venir nous chercher : la mort a scrupule à ternir, fût-ce d’un peu de sang, la pureté nuptiale d’une colombe.
Mille ruses sont tendues par le plus simple langage de Béatrice Bonhomme : oui, trembler. La langue, les petits mots de chaque jour et de chacun, se sont mis à trembler pour faire peur à la peur, pour que l’aimé ne soit plus sous la menace de la grande pourvoyeuse.
« Voyez, dit Béatrice à celle qu’elle sent venir, à quel point nous sommes innocents, combien les mots que je vous adresse en bouquets de violettes sont purs, sont désarmants, sont désarmés et purs. »
Mais la sincérité n’est de rien au regard de celle qui n’aime pas aimer. Alors ? Alors - la mort, le mort. Et à son doigt cette bague qu’on avait cru d’alliance éternelle. « Rien de léger vraiment à vivre », nous est-il dit.
C’est tout ce mélange d’ici et d’ailleurs, ce terrible grand écart qui fut longtemps fusion, qui fait le charme, le prenant charme, de ces courts textes où tout est dit de la passion, au double sens du terme, avec une rayonnante résignation - et je ne me cache pas ce que cette formule a de paradoxal. Mais quand la poésie est là, le paradoxe, si même il existe, cède et fuit, et tout du coeur est confié à la fluidité. Le désir si dur et si désirant en vient lui-même à être poreux, traversé par cette fluidité-là.
Le splendide liquide des hommes se fait parfum :
dans ta main
comme un oiseau échappé fou
l’odeur de cyprin et de pluie
On aime cette main dessinée et tendue de tous ses doigts vers un parfum.
Salah Stétié
oOo
Ce sourire caché
que tu sois la pureté de ma voix
petite fille aux joues rouges
sur ta luge
de poupée
que tu sois la lumière
dans ta main de miniature
un pantin colorié charme
l’étoile d’une enfance
les larmes coulent sur tes joues
des joues de pommes rainette
tu as bu trop vite, goulue
le jus des pommes de la treille
*
nous n’avons pas le temps que tu meures, tu es folle
et je n’ai pas le temps de ce fil à la patte -
il faut sauter les obstacles -
tu sais bien ma chérie cette course de haies,
il faut être là où course l’avenir
mais elle dit, je n’ai pas su courir et sauter assez vite
et restée dans la marge, j’ai souffert de pleurer
*
j’ai répété, et quand cela finira-t-ilvil disait, tout de suite, bientôt,
dans la plage d’argent
là où, si tu meurs, moi je meurs, avec toi, jamais abandonnée
j’ai répété, et moi je vais mourir sans toi
il disait, tout de suite, bientôt dans la plage
de notre adolescence
*
il disait, fais moins de bruit, moins de cris
j’ai honte et tu vas gêner
il disait, je suis fatigué, je dors, même si tu as mal
il a dit, tu as changé
elle disait, je suis seule, j’ai peur
pardon de tant de cris, le silence t’oubliera
elle disait, regarde, elle va mourir
où la traîner, l’emmener
et ces yeux de chats qui sont des yeux d’enfants où les dieux ont failli
*
ils t’emmènent dans le grand silence de la peur
sur ce brancard, sur ce cercueil
une seconde de patience on va vous endormir, vous emmourir
patience, on va vous endormir, vous faire mourir
dans les couloirs
à traverser le froid de marbre d’animaux grimaçants
et le cri d’un réveil où, toujours
je te cherchais
*
écriture d’automne
odeur d’anciennes villes
je flotte à la lisière des courbes de ma vie
je te rêve au présent et passé te conjugue
écriture d’automne
aux feuilles blanches de pages mortes
*
larmes
en profil de ciel
l’immensité bleue
ce sourire caché
seras-tu avec moi dans ma très longue nuit ?
*
simplement ton regard
mer d’orage
dans la pâleur du lys
*
un mot
posé sur la page d’un rêve ancien
pour ce simple instant renaissant
*
où tu es parvenu à me faire toucher
le monde
si bleu posé sur un tapis
qu’en un seul regard tu puisses resplendir
c’est d’abord le jeune homme en toi qui m’illumine
*
désormais tu es présent
dans l’herbe des collines
Béatrice BONHOMME