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 Article publié le 15 septembre 2019.

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Dans le bas du dos - les reins, aurait dit mon professeur de rhétorique en des temps reculés -règne une atmosphère doucereuse. Elle n’est pas sans rappeler les senteurs de vanille qui avaient l’heur de plaire en des temps lointains. A la vanille, je préfère l’odeur musquée du poivre vert. Il m’arrive ainsi d’en planter.

A l’image des fleurs sans pareil qui peuplent les bosquets de mon enclos, je me garde de fleurir trop vite. Bisannuelle, dormante le jour, épanouie la nuit et au petit matin, telle est la fleur merveilleuse qui sévit dans ma mémoire promise à l’oubli. C’est que je suis femme et fleur à mes heures.

En dire la couleur, une gageure.

Les yeux dérapent sur le langage. La langue la plus fourchue, à commencer par celle de ce mauvais radis fourchu qu’est l’homme en majesté, ne saurait dire. Et dire qu’il ose se dandiner en pantalons serrés !

Il faut enrober de miel son dire et faire porter des robes de soie aux mots les plus lointains. Ce n’est qu’ainsi, loin de tous, qu’elle consent à fleurir à même ma peau d’indécise. 

J’ai noyé le serpent d’hier dans un grand pot de beurre, puis je l’ai plongé dans le miel chaud de mes yeux. Cette petite gâterie d’après dîner m’a mis en appétit. J’ai croqué deux hommes en guenilles à la nuit tombée. Un arrière-goût de fiel irrita uns court instant mes papilles endormies.

Le soir venu, le plus souvent, je flâne, je l’avoue, quelque peu désœuvrée, mais tonique je suis, tonique je reste.

Le fond du problème, c’est que, si problème il y a, il s’apparente en moi à un tonneau des Danaïdes que les Dieux auraient oublié de percer. On conçoit alors aisément que le meilleur vin tourne en moi très vite au vinaigre. J’ai d’autres lieux de délices, d’autres caves enchantées où l’hydromel de mes ancêtres coulent à flot dans les gosiers.

Je puise ainsi une force prodigieuse dans tous les terrains, tous les êtres vivants et jusque dans les étoiles mortes qui s’aventurent dans le ciel nocturne.

Femme je suis pour toujours.

N’en déplaise aux esprits chagrins, aux mornes plaines, au blizzard sanglant, à toutes les têtes couronnées de la terre, à tous les salopards que la terre a portés, porte encore en ces jours sombres et funestes et portera longtemps encore, à n’en point douter.

La terre a bon dos. Parfois, elle se secoue, nous débarrasse de sa cohorte de salauds au grand cœur, mais cette engeance est pareil aux poux qui pullulent sur les têtes les mieux lavées. Le poivre vert est alors un remède que je recommande parce que d’une rare efficacité. 

Je fais la nique à la République chère au cœur de quelques hommes de foi. Je suis mobile, intacte et vicieuse. On me dit chienne, démocrasseuse, un tantinet avide de sensations fortes. Il n’en est rien.

Aux trois quarts sorcière depuis des millénaires, toujours en quête de mon quart manquant, je vais et viens, vaque dans les corps, m’agite et soupire d’aise, quand on brûle tout vif un de ces Grands Inquisiteurs aux poils longs, un de ces chiens d’église qui jappent dans les jupes cardinalesques.

J’ai du ressort, j’ai la pêche. Je m’enferme des mois dans des réduits poussiéreux. J’y attends mon heure, tapie dans l’ombre double. Les vieux murets font mes délices. J’y lézarde, heureuse à souhait. J’y musarde parfois aussi, le cœur en laisse.

Longtemps, la mer fut une énigme. Le long des grèves, sur la laisse ruisselante, j’allais, opiniâtre, résolue à n’en rien manquer.

Tapie dans l’ombre double, avec des relents de mer dans les narines, telle je suis à mes heures perdues.

Cette fatale propension me vient de la rencontre fortuite que je fis avec un saxophone perdu dans les bas-fonds d’un quartier exquis, là-bas en Louisiane. Un quartier pourri, dirait l’ami George W. Bush qui manqua de se noyer sous un déluge de critiques amères après le passage de Katrina. Ah si les mots valaient les eaux furieuses du Mississipi, combien de salauds seraient en train de pourrir dans la baie !

Mon saxophone endiablé et son dialogue mené de doigts de maître avec l’ombre double me fascinèrent tant qu’incontinent j’entrai à mon tour en dialogue avec lui et elle. Impossible de tenir sa langue en présence d’une grâce pareille. Aussitôt, je me fis chanteuse des rues pour l’accompagner partout où il lui plaisait de se rendre comme on va à une fête d’anniversaire appelée à durer des années et des années.

Le fantôme de Pierre Boulez, plus actif que jamais, hante ces lignes. Comprenne qui pourra !

Depuis lors, nous sommes un orchestre à nous tout seuls, tonitruands à souhait ! Toniques toujours ! et si peu enclins aux compromis que ne nous agréent que des sons revenus d’outre-tombe.

S’accorde bien avec nous une guitare rageuse venue du fin fond du Bayou. Eternelle voyageuse, on perd sa trace à Seattle en 1970, mais elle nous accompagne en sous mains où que nous allions.

Il n’y a pas de mots assez forts pour dire la magie tintinnabulante des claves et des vibraphones alliés au souffle puissant d’une guitare dont les notes tenues et fondues fondent sur l’auditeur médusé. Dans chaque instrument que nous jouons s’entendent tous les autres en écho. Voilà qui nous donne du fil à retordre et matière à controverses infinies. La guitare, orchestre à elle toute seule, flirte avec les infinies nuances du saxophone en dialogue avec l’ombre double qui vibre et transpire sous chaque note émise depuis les tréfonds.

L’ambiance des jours est électrique.

L’électronique nous séduisit de prime abord, tant et si bien que non content d’électriser les foules savantes nous entonnons désormais des hymnes à la joie de vivre ensemble tous réunis sous un même paratonnerre en plein air.

C’est qu’il y va tout bonnement de la santé de nos concitoyens et de la bonne volonté de la terre entière.

Mesmer est passé par là. Il s’agit d’ajouter à la magie festive des sons en liberté la rigueur rythmique des pinçons, tout en veillant à fasciner les foules en délire qui ne nous déçoivent jamais.

Je me souviens, émue encore, de ce concert que donnèrent les membres épars de La société des timides à la parade des oiseaux. Tout feu, tout flammes, sons en mouvements, cris d’oiseaux et de bêtes en rut, dans trois langues, je vous prie, les voilà qui vociféraient des paroles inouïes qu’on mettra encore longtemps à comprendre.

Il faudrait pour cela piloter un rêve en technicolor d’une main et de l’autre plonger la queue d’un rat dans l’huile bouillante.

Je l’aime mon réduit de pierre. Il est plein de musique.

Le murmure des dunes, le long de la côte qui nous habite, le lent frisson du vent dans les peupliers, le frémissement douçâtre des robes d’été si légères, et la soie, la soie bleue et orange partout dans les yeux, voilà en quelques mots l’énigme exposée aux quatre vents de notre temps.

Enigme qui s’allonge d’année en années comme un songe d’été.

Par où advient ce qui n’ayant pas de nom les emprunte tous aux quatre coins du monde que nous aimons, afin que, des mots venus et revenus, des sons s’animent dans les parages de notre orchestre infernal que nous appelons Amour.

Un jour qu’il pleuvait averse, je me suis penchée sur moi-même, et l’idée me revint d’entrer en moi si fort que je disparaîtrais tout à fait. Ce fut fait sur l’heure. Envaginée, je respirais l’air frais des prairies en fleurs, puis lassée, comme hors de moi à nouveau, j’épousai l’éclair.

 

Jean-Michel Guyot

12 août 2019

 

Douze comme les douze apôtres réunis en fagots à la mode conquistadors, douze œufs vénéneux à casser pour en faire une belle omelette baveuse.

 

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