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I - ante meridiem
Kateb – Le remplaçant - chapitre XIV

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 Article publié le 10 juillet 2022.

oOo

« Hé non, mon petit : ce n’est pas un inceste : car tu n’es pas de » entendit Anaïs comme elle remontait pour veiller sur l’enfant, veiller à ce phéno, comment a dit le doc, possible métaphore de l’Afrique chez nous, non : en nous : et elle remontait, entendant le père (supposé) évoquer cette tare familiale, des siècles selon ce qu’on pouvait en savoir si on avait le temps de consulter les archives, méthodique classement inventé et mis au point par un aïeul genre XVIIIe siècle ou avant du temps où les comètes. Le tapis amortissait sa lente précipitation. Elle haletait. Mais sa main glissait sur la rampe où les culottes. Temps jadis. Son esprit se heurta à la porte entrouverte. Il était en train de. L’enfant souriait. La petite bite agitée entre deux index. Le ventre spasmes. Lui aussi riait, mais rien ne sortait de sa bouche, mâchoire taillée dans cette chair de tableaux couverts de chancis. Profil qui l’avait intriguée du « temps des Colonies » /il le penchait sur la surface où le soleil de verre /noir et or cet Arabe /depuis je n’ai jamais fauté confessa-t-elle /et le petit Lazare grandissait dans une peau de plus en plus noire, lisse, rutilante sous le soleil /sa musculature se formant elle en concevait une douleur « hé non inceste sang » Si elle poussait la porte elle grinçait et alors. Ses index coulissaient mouillés de salive et les pieds se contractaient /peau plissée qu’il lui arrivait de lécher (elle) il l’observait alors sans commentaires chose rare de sa part surtout qu’il ne pouvait pas ne pas savoir (c’était bien avant l’ « invention » de l’ADN au service de l’enquête si jamais on en vient à /mais à cet âge ça n’éjacule pas, pensa-t-elle et elle entra évitant les lattes susceptibles (d’après sa connaissance des lieux) de trahir sa présence et par conséquent de lui donner raison (à elle) devant tout le monde : elle fit comme si de rien n’était et s’approcha du berceau dont la voile était gonflée comme un foc à la proue de. Métaphore. Je suis cet Arabe noir et or. Voici mon. Il lui écrivait quelquefois, sans régularité, peut-être même sans amour mais ça elle n’aurait pu l’affirmer surtout qu’il n’était pas pas/plus question de le revoir et de oh non. Le curé ne plaisantait pas avec ces choses. Cousin au degré x. Il connaissait les Colonies. Illustration et tout et tout. Ici, tandis qu’elle se penchait avec lui, il cessa de jouer (si on peut appeler ça comme ça) avec la petite bite et elle se demanda si l’expérience des langes était oh reproductible. Bien sûr elle ne lui en parla pas /ne proposa pas son sein /Octavie avait pris la journée pour « Il m’a l’air en parfaite santé, ce petit, gloussa Fabrice qui venait de jouer au docteur avec moi il ne joue pas avec lui je suis une autre celle qu’il veut que je sois

— Le docteur ne dit pas le contraire mais

— Mais quoi… ?

— Rien d’important… Histoire de femme… Un premier enfant…

— Le premier ? (ilsursaute)

— Je veux dire…

— Je ne sais pas ce que tu veux dire, ma pauvre.

peut-être une fille la prochaine fois mais avec qui  »

Au dîner, elle fut avare de conversation. Certes il ne tenait pas à ce qu’elle en fût le sujet et c’était toujours ce qui arrivait si. Il but la moitié d’une bouteille, pas plus, ce qui ne l’empêcha pas de rougir comme si le feu qui le dévore de l’intérieur mais passons je n’ai plus l’âge

— Sais-tu au moins préparer cette poudre… ? dit-il sans la regarder piquouillant un morceau de viande pas assez cuit.

— La poudre de perlim… ?

— Tu veux rire ?

— Avec toi ou avec un autre !

— Cochonne !

Il l’emporta mais la dévora plutôt. Elle n’opposa aucune résistance à cet assaut qu’il renouvela mais la semence de marque Vermort ne contient rien pour. Puis l’été se mit à la fenêtre, noir cette fois, agité de lueurs venues du ciel, elle devinait des nuages mais sans les soumettre à l’anthropomorphisme qui la rendait obscure et vénéneuse quand elle en glissait un mot dans la conversation. « que s’est-il passé oh mon Dieu les colonies et cet enfant qu’on laisse se noyer sans et cet autre qui n’est pas sang » il revint avec de quoi boire mais cette fois sirupeux et légèrement alcoolisé et elle se laissa griser sans sang. L’air du désert caressait son visage et les palmes bruissaient dans son dos. Il était assis sur la margelle et peut-être l’attendait qui sait ? Elle demeura un (long) moment dans les palmes et il dut être au moins fasciné par ces voiles tissés par les femmes de sa race ô perpétuité. Mais ce n’est pas à cet endroit qu’il la. Ou qu’elle le. Ce soir-là, ils discutèrent de poésie et de ces choses auxquelles on n’attache en principe que l’importance de l’accessoire, amulette ou colifichet objets ponctuant les essais de conquête pacifique ou pire. Elle s’assit non point sur la margelle qui, par sa circularité même, imposait une proximité qu’il n’était pas question de. Pas pour le moment. Elle pensa à ce moment. Et il lui sembla qu’il en parlait. Mais plus loin la terrasse était agitée de lueurs et de masques et des rires mettaient en fuite les oiseaux de la nuit « ce sont des papillons » et comme il connaissait son pays elle l’écouta elle ne voulait plus revenir chez elle sans lui. Sa tante était laquelle de ces ombres. Il rit.

« Je suis Kateb, dit-il enfin, mais votre… fiancé m’appelle Eumolpe et pourtant je ne connais rien à la vigne nous sommes une dynastie d’écrivains mais pas comme vous croyez heu

— Pas de poésie… ?

— Quelquefois… mais je n’ai jamais voyagé comme Ibn… jamais plus loin que la montagne…

— Celle-là… ?

— Une de ces montagnes, je vous laisse choisir…

— Mais pour cela il faudra attendre le jour car je n’ai pas cette mémoire… je n’ai pas eu le temps… ma tante…

— Oh ! Oui, votre tante… Moi aussi. »

Elle rit à son tour, mais sans ameuter la terrasse aux papillons en fuite constante. Il ne l’invita pas à s’asseoir sur la margelle, circulaire, près de lui, comment continuer cette conversation si elle s’assoit à une distance mettons respectable qui pourrait la situer dans un angle tel que les profils, les épaules, non elle ne s’assit pas elle s’appuyait contre le tronc poilu d’un dattier des papillons tournoyaient et elle aimait ça, cette espèce de griserie que l’adolescence lui avait enseignée avant que quelqu’un songe aux Colonies et à leur temps qui ne passe pas qui existe déjà et qui revient. Maintenant elle emmaillotte l’enfant et attend mais ne dit rien à propos de et Fabrice attend fumant des cigarettes qui se tortillent dans le cendrier la nuit à la fenêtre il en sait autant qu’elle à ce sujet.

— Dans une heure, dit-il (elle ne le voit pas car l’ombre) nous dormirons tous (et elle pense à la mort)

— Une heure c’est beaucoup ! s’écrie-t-elle mais sans excès car l’enfant n’est-ce pas

— Moins si tu te tais…

— Je me tairai.

— Tu ne te tais jamais avant de…

— Je ne sais pas de quoi tu parles…

— Moi non plus je ne sais pas il y a quelque temps que nous ne savons plus de quoi heu… demain sera fait je veux dire : désires-tu toujours autant cette fille que je ne parviens pas à imaginer mais peut-être m’expliqueras-tu enfin pourquoi… ?

— Commence toi par ne pas parler !

Elle tâte les langes à l’endroit de. Bien. Elle se couche. La fenêtre aux carreaux à la fois transparents et disons ambigus. Se taire. Il s’est tourné, recroquevillé, il se calme, il a besoin de cette tranquillité, sinon. Mais elle ne s’endort jamais avant de penser au petit mort dont la gorge gargouille encore. Qui l’a vu se noyer ? « Elle était là ou pas ? Au moins, celui-là était de votre sang (la tante)

— Et pourquoi ne serait-il pas d’un autre telle qu’on la connaît maintenant que

— Je ne veux plus y penser, là ! »

C’est pourtant simple. Et ça se complique parce que la parole leur appartient et qu’il n’existe aucun moyen de les réduire au silence mais le silence ne contient-il pas mieux encore ce que la parole ne dit plus ? Chronologie des faits. Ils la connaissent. Comme l’échelle du grenier où le blé. Cette semence aujourd’hui sans promesse de. À quel moment perd-elle sa. Et pourquoi ? 1) Jean naît de ton sang. 2) Il se noie. 3) Kateb me. 4) Lazare naît pas de ton sang. De qui sera la fille ? Comme c’est amusant d’y penser ! On me prend déjà pour une pute. Et je deviendrais folle avant que ma fille connaisse l’amour. Quelle histoire à raconter à ceux qui ne se connaissent pas !

— Tu parles… (il ne se retourne pas elle voit le dos et la main étreignant la nuque)

— Toi aussi tu parles en dormant…

— Mais tu ne dors pas !

— Disons que tu rêves…

— J’ai l’habitude.

Famille je vous. Métaphore. Petite bite deviendra grande. Et alors… Moi seule le sait !

 

*

 

Kateb aimait les femmes comme on aime les hommes.

 

*

 

C’est lui qui lui a donné le goût de. Je ne suis pas comme ça. Et son p. non plus. J’ignorais que Fab l’était. Puis je l’ai su. Et c’est resté en moi. Rien n’est sorti. Ni avec lui. Ni à confesse. Ni au procès. Mais je ne savais pas que ça pouvait se donner comme une maladie. C’en est une ou pas. En tout cas il l’a donnée. Qui est Ben Balada ? Nos routes se croisent. Pourquoi ? Qui a voulu ? Fab a su dès qu’il l’a vu. Tout le monde l’a vu. Sauf ça. Mais Fab savait parce qu’il était comme lui. Sauf que personne ne savait que Fab. Et tout le monde a fini par savoir que Ben Balada. Comment c’est arrivé ? Comment cela aurait-il échappé à. Lazare beau comme un. Son père dedans. Ne sait pas. Ne l’a su qu’au procès. Ça lui est tombé dessus comme un orage un jour de. Et je n’étais plus là pour le. Connaissait l’amour avant de le faire. Kateb tout craché. Pourtant notre idylle n’a pas duré plus que. Il m’écrit encore aujourd’hui. Sait pour son fils. Aime les hommes lui aussi. Mais ne touche qu’aux femmes. Comme il m’a touché. C’était du temps des Colonies. La peau avait son importance. L’art des uns et des autres balayé avec le vent des massacres. Désert par-dessus les montagnes gagne le cœur des hommes qui ont travaillé pour que l’art. Et nous sommes rentrés. Moi pas chez moi. La mort chez moi. Pas aux Colonies. Ici. Aux champs. Aux villes. Éparpillement familial n’a pas duré des siècles. Il était heureux de revenir. De reprendre possession. Et avec l’argent amassé (je ne dis pas gagné) il a entrepris la « rénovation » de ses biens terres château fermes granges vergers ô pré aux vaches si tendre à regarder ! Petit cercueil suit. Caveau reçoit cette boîte vernissée blanc croix encore dorée malgré. Je me tais ! Je me tais ! Et le temps a passé sans moi. Sans même cette fille qui. De quoi se mêle-t-il ?

Elle voulait dire par là que Fabrice n’avait aucune raison de vouloir venger Lazare qui n’était pas son fils, il le savait mais qui d’autre le savait il s’en fichait et il ne trouva pas le sommeil aussi quand le jour se leva il était dans un état de nervosité telle qu’elle crut qu’il devenait fou alors pensa-t-elle qu’il n’a aucune raison de l’être puisque Lazare n’est pas ne sera jamais son fils aux Colonies comme ici D’ailleurs qui croira à une singerie qui consisterait à sauter à la gorge de Ben Balada à sa sortie de prison ? Ne verrait-on pas alors le fils s’en prendre au père avec toute la férocité que suppose un pareil combat ? Et Ben Balada profitant de l’aubaine pour sauter dans son taxi disparaître à jamais au-delà de toutes les routes possibles. Et moi ? Exilée en moi-même. Fuyant ce théâtre sans rideau qui menaçait depuis longtemps de se donner sur la place publique. Où aller si je suis si seule ?

Elle voulait dire par là qu’elle n’avait pas la force d’intervenir de façon à réduire cette histoire à l’anecdote qui finit par ne plus intéresser personne faute de traces autres que privées. Rien à voir avec ce que nous avons vécu Kateb et moi. Ni avec ce que nous avons manqué de vivre. J’aurais tué ma tante si j’avais trouvé le texte m’y invitant sans ambiguïté. Mais le petit cercueil blanc brillant comme du verre au soleil était déjà sorti de terre. Autre incertitude, ce qui inspire d’autres certitudes que la mienne. Kateb parti en fumée. Dans sa montagne ou au désert sait-on comment ce termine l’existence qu’on a quittée faute de foi en elle ?

Elle voulait dire par là qu’elle entrait dans la vieillesse avant même d’en avoir fini avec les espérances de la jeunesse, ce à quoi s’emploie (lui semblait-il) le commun des mortels. Ce matin-là, le jour où Ben Balada allait sortir de prison sans que personne ne se soucie de savoir si c’est la fin de l’histoire ou si une autre commence, Fabrice de Vermort se rasa le bouc qu’il portait depuis le premier jour du procès, il était représenté ainsi dans toutes les pages et les clips de la Presse, impeccablement mis dans son costume trois pièces, le béret basque au ras de son regard qualifié alors d’aristocratique. Il se regarda longuement dans le miroir et mima plusieurs sortes de sourires, incapable de se décider sur celui qu’il infligerait à Ben Balada, si on le laissait approcher, car il y aurait du monde, contrairement à ce que supposaient le cousin curé et son ami Barman, déjà deux pisse-copie traînaient leurs savates depuis deux jours, passant plus de temps au comptoir, juchés sur les tabourets américains de Barman, que sur le seuil des maisons où pourtant la populace attendait qu’on lui demande son avis sur la question. Barman pouvait témoigner de cela. Mais la Rouquine avait un charme fou et Fabrice de Vermort tenait à bien composer son personnage, si toutefois il parvenait à s’approcher de Ben Balada, avec ce sourire dont la nature lui échappait encore à l’heure où il rinçait le lavabo, robinet grand-ouvert, ce qui la réveilla, ou c’est du moins ce qu’il crut. Elle voulait dire par là… se répéta-t-il, prenant bien soin de ne pas conformer ses lèvres muettes à ces paroles supposées, car au fond elle n’en avait pas le talent, et repasser par le rideau fendu en son milieu, il se présenta à elle en tenu d’Adam et parfaitement en forme, du moins pour son âge. Elle rechigna.

Elle voulait dire par là. Il descendit. La belle Octavie mettait le couvert pour le petit-déjeuner. Il admira une fois de plus ces reins creusés comme des vagues et ouvrit en grand la baie vitrée qui donnait sur la terrasse principale, celle où se tenaient toutes les réunions, les familiales et les autres, inutiles de les compter on ne se réunit plus depuis longtemps /depuis que le petit cercueil blanc repose sur son étagère entre deux urnes qui ont depuis aussi longtemps l’âge d’être oubliées et de disparaître dans autre chose que la réalité de tous les jours. Il avisa le pliant de toile décolorée qu’il avait oublié la veille au soir et qui n’avait pas disparu comme il pouvait s’y attendre. Il épousseta, retourna la toile par excès de précaution et enfin s’étira dans la bonne position, celle en tout cas qui avait toujours convenu à sa paresse. Le matin était agréable ce matin. Un chien, qui lui appartenait peut-être mais dont la robe et l’allure ne lui disait rien, s’approcha mais s’arrêta aux bas des quelques marches qui descendaient dans l’allée dont le gravier crisserait tout à l’heure si du monde venait aux nouvelles, pour lui en apporter, au sujet de la sortie de Ben Balada, et pour en recevoir, sur la question concernant le comportement à adopter en pareilles circonstances. Le rasage du bouc trentenaire, qui ne l’était donc plus, ni bouc ni trentenaire, l’avait quelque peu refroidi et s’il avait commencé sa toilette dans un état d’échauffement tout droit sorti du rêve qui avait pris sa place au sommeil, il était maintenant beaucoup moins sûr de se mêler de cette histoire à la con, et même il était sur le point de ne plus y penser, quand soudain Anaïs (la comtesse) se dressa devant lui, jetant son ombre mouvante sur le peu de chaleur solaire qu’il venait d’accumuler, et elle voulait dire par là qu’on serait bien con de s’en priver, de quoi ? mais de lui dire « enfin » ce qu’on pense de lui, quitte à le crier par-dessus les épaules de la foule. Son haleine sentait le café et la myrtille.

— Il n’y aura personne, dit-il sans bouger le petit doigt.

— À part la Rouquine que tu…

— Si tu veux…

— Tu n’oublies pas quelqu’un… ?

— Je me demande si je ne ferais pas mieux de l’oublier lui aussi…

— C’est… ton fils… Des mois que nous ne le voyons plus… Il a couché à l’hôtel… Avec ta Rouquine…

— Tu veux dire que… et le Chauve… ?

— Tu me fais dire n’importe quoi ! (vivement) Allons-y !

— N’est-il pas déjà sorti ? On sort tôt quand on sort de prison… pour ce que j’en sais…

Elle le vit se plier pour s’extraire de la toile où son corps avait trouvé le la. Elle se recula un peu pour le laisser passer. Elle regrettait pour le bouc. Il était mieux avec. Mais c’était peut-être l’habitude. Elle avait toujours du mal à en changer. Elle se mit à pleurer. C’en était trop. Il appela le docteur Vincent pendant qu’elle inondait la nappe de ses larmes, croyant mourir de chagrin.

 

*

 

De sa fenêtre, située exactement au-dessus du cabinet, le docteur avait un angle de prise de vue idéal. La porte de la prison attendait dans la brume légère de ce petit matin tranquille d’un printemps qui promettait depuis quelques jours de se montrer digne de cette tranquillité revenue. Mais, s’il avait bien appris la leçon de l’existence, il ne se rappelait plus quel numéro de chapitre lui était attribué, la tranquillité, toute divine ou d’essence philosophique qu’elle soit, est bien faite pour être troublée par des phénomènes que si on avait su on aurait reculé le rendez-vous. Imaginez. Devant la porte, sans doute fermée à plus que double tour, comme c’est l’usage en matière procédurale, bien loin des conceptions hippocratiques qui avaient fini de le tourmenter, il y avait du monde. On ne s’y bousculait toutefois pas. Rendez-vous avait été donné la veille à la télé. Et le docteur avait vu trois fois l’annonce sur trois chaînes différentes. C’est dire si le sujet était de nature éditoriale. Le docteur ne s’était d’ailleurs pas couché sans avoir une petite pensée pour les choses de l’esprit, comme cela lui arrivait quelquefois et comme il finissait par le regretter toujours. Sa longue-vue de hunier lui était aussi souvent utile et agréable. Il y vissa un œil clarifié au sérum physiologique, ajusta le cadrage et serra autant qu’il put la vis de blocage du système optique ainsi remis sur pied. Il hésita un peu sur des détails finalement sans importance et maintint son reliquaire droit, celui-là même qui s’alignait avec la mire dans les bois, dans la lentille avec l’espoir de ne pas trop cligner, car depuis quelques temps le sens de ses paupières lui échappait. Il reconnut la Rouquine, vu de derrière cette fois, ce qui n’était pas plus mal que de devant, opulente chevelure d’un rouge que le soleil printanier n’allait pas tarder à illuminer comme à l’office l’étoile du berger. Le Chauve entretenait une conversation agitée avec Barman qui n’avait rien amené. Le curé secouait une étole, ça ne pouvait pas être une écharpe vu la douce température qui allait lui inspirer d’aussi douces paroles de bienvenues ou d’autre choses comme on les dit à celui ou celle qui revient de l’enfer avec une connaissance de la douleur que les hommes et les femmes de bien ne peuvent pas connaître.

Des corps déambulaient, sur lesquels il mit des noms sans intérêt romanesque, mais il manquait des personnages et notamment le trio de Vermort, à savoir la maman, le papa (supposé) et le fils qui se retrouvait désormais en position de goûter de nouveau au bonheur perdu ou plutôt anéanti par décision judiciaire et au nom d’un peuple qu’il ne devait pas, conséquemment, porter dans son cœur, d’autant que sa (supposée) nature aristocratique devait l’incliner naturellement à ne se soucier que de sa pomme.

Autre lacune, au niveau dramatique pur, le trio Cérastin, composé du papa, gardien, encore pour quelques minutes, du prisonnier Ben Balada, de la maman, ici non privée de son nom de baptême, ce qui adoucissait toujours ses mœurs délicates, et de cet étrange fils avec lequel non seulement les filles ne savaient pas sur quel pied danser mais qui aux hommes posait la question de savoir quel rapport il entretenait avec le fils de Vermort, son miroir traversé mais on n’osait se demander de quelle manière.

Puis, pour s’en tenir à cette composition quasi chiasmienne comme on le verra juste dessous, le duo Chauve + Rouquine, tout deux pratiquant, chacun à leur manière, les rituels de l’écriture, quand bien même le Journal les privait des attentions de la Poésie, paraissait amputé, à en croire ce qui vient d’être lu et en tout cas écrit pour l’être, de l’Oriental qui avait séduit la comtesse au point de donner au comte le descendant qu’il ne pouvait lui-même et de son propre chef envisager sans accepter une entorse aux pratiques dynastiques qui, à en croire la rumeur, n’en étaient pas à leur coup d’essai : Kateb lui-même, qui de toute façon avait disparu, au point que s’il ne l’avait pas fait, on en parlerait peut-être moins. Voilà pour le trio des auteurs de la chronique en formation analectique.

Enfin, Ben Balada, debout sur le seuil, une valise à la main, accompagné peut-être de celui qui l’avait aidé à vieillir, soit Octave Cérastin, vêtu au carré de son uniforme bleu navy, sanglé de cuir éprouvé au feu et le petit doigt où on voudra, Ben Balada, disais-je, ne jetterait-il pas un regard semi-circulaire, vu le plan dans son dos figuré par la porte, pour chercher dans la foule ses deux compagnons corydoniens, à savoir le brave Jehan Babelin et le moins facile Pedro Phile ? Car voici le trio sans lequel ce qui est arrivé n’aurait pas pu arriver, au grand dam du roman que nous sommes en train de composer pour justement amuser les petits enfants et les jeter dans la gueule du loup.

 

 

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