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Hypocrisies - Égoïsmes *
Julien Magloire I

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 Article publié le 27 novembre 2022.

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« Ça ne peut être que lui ! » Combien de fois avons-nous entendu cette… sentence ? Nous avons même quelquefois participé à son application. Nous avons tellement besoin de justice… ou tout au moins de justifier : « Vous vous trompez ! Ce n’est pas moi ! » La condition humaine s’étrique en vase clos. Personne ne sort ! Il faut vivre ensemble. Et c’est tout seul qu’on meurt. De là naissent les personnages. J’ai toujours été intéressé par leurs inventeurs. Peut-être fasciné, émerveillé, séduit ou envoûté… Mais comme la connaissance est limitée par les questions morales et que j’ai du mal à me borner à penser comme les autres pour ne pas subir leurs assauts défensifs, j’ai tendance à m’en tenir à la beauté des choses et du geste, quitte à me retrouver seul pour en jouir. On devient vite un solitaire entouré d’amis dans ces conditions opportunes. Tautologie : si la mort est ce qu’elle est, c’est parce que nous ne pouvons rien changer au temps qui passe et ne se retourne pas. Aimez-vous les uns les autres en attendant de vous déchirer d’une façon ou d’une autre, dans un roman ou un procès, en vase clos ou au spectacle de la vie quotidienne. Ce n’est pas « Ça ne peut être que lui ! » ni « Vous vous trompez ! Ce n’est pas moi ! » qu’il faut comprendre mais : « J’ai raison et vous avez tort ! » Ajoutant, à haute voix ou en aparté : « Je ferai tout pour que justice soit faite ! » Par exemple créer un personnage. L’enfant les imite si bien ! On les lui donne d’ailleurs. Il n’en manque pas, même si leurs catégories se limitent à ce qu’on sait depuis longtemps et à ce qu’on redoute plutôt pour se faire peur que pour se donner une chance d’en savoir plus. Mais il n’y a rien de plus impressionnant que celui qui invente son propre personnage, surtout s’il prétend le faire entrer, de force ou par ruse, dans le système encyclopédique national, voire universel, rubrique des personnages célèbres, remarquables, illustres, etc. les épithètes foisonnant chaque printemps que l’hiver inspire à l’esprit en proie à son angoisse liminale (« Pourvu qu’elle le reste ! ») Je n’en démordrai pas, foi de convaincu (sans jeu de mots) : la réalité se trouve quelque part entre les apparences et le rêve. Et si vous avez quelque talent, chaque fois que vous vous mettez à écrire pour ajouter au personnage ou pour en élaguer les contours, vous devenez votre propre poète. Seul lecteur aussi sans doute, car il n’est pas aussi aisé de prendre la parole, quoiqu’en dise le nerf du réseau qui occupe vos soirées et bientôt le moindre répit consenti par vos activités alimentaires et diplomatiques. Mais voyons donc : êtes-vous le personnage de vos personnages ? Ou leur inventeur ? Et que devez-vous à la connaissance du personnage ? Avez-vous lu assez pour entreprendre cette pratique au-delà de l’exercice ordinaire de la justice… la moins recherchée ? Que de questions tremblantes de peur avant de se mettre à l’ouvrage ou en cours de tractation avec les épisodes qui s’enchaînent ou pas selon que vous avez de la chance ou que vous n’êtes pas si seul que ça… Comme il est clair que William Faulkner n’est pas Joe Christmas et que Robert Jordan est Hemingway ! Mais Bardamu est-il Céline ? On voit là quelles sont les limites de l’entreprise. D’autant que vous n’arrivez pas à la cheville de ces illustres exemples de réussite éditoriale et littéraire, d’une pierre deux coups ! Est-il possible de sortir des tribunaux ordinaires quand le cœur ni l’esprit n’y sont pas ? « Je ferai tout pour que justice soit faite ! » Vous avez à peine mis le pied dehors que le tiers impose sa nécessité. Et vous ne le traînez à vos basques que s’il y consent ou s’il est lui même adoubé. Mais par qui l’est-il ? Lui-même ? Les autres ? Le système ? Les autorités ? Arrrh ! Ne voyez-vous donc pas que la porte est close ? Tribunal, hôpital, hôtel, propriété secondaire, usine, bureau, petites et grandes surfaces, églises et autres temples, théâtre, bordel… N’êtes-vous jamais sorti pour respirer l’air pur, ou censé l’être, de ce dehors qu’on ne peut en principe observer qu’à travers les vitres ? Ne sort-on pas d’un lieu, d’un objet ou d’un cœur que pour entrer dans un ailleurs qui y ressemble beaucoup, voire tout à fait ? Ne savez-vous pas, ô intime conviction, que si vous êtes dehors alors vous détenez le Grand Secret ? Comme prétendent en dispenser les bienfaits et les lois les imposteurs de la religion et de la politique, peut-être même de la science… Vous qui avez du mal à joindre les deux bouts… Objets des crédits possibles dans les limites d’une capacité de financement qui se calcule à un poil près ! Vous descendez maintenant les escaliers pour aller retrouver vos amis autour d’un repas de cafétéria. Vous n’allumerez votre cigare qu’une fois dehors, avec le sentiment épouvantable de n’être pas sorti et rêvassant à de doux et convulsifs échanges de caresses auxquelles seuls les voyages organisés et les rencontres festives peuvent se comparer. Ces clés qui accompagnent vos déplacements… Réunies en anneau. Belle figure mathématique. À moins que votre paresse ne vous contraigne à préférer la poésie. Celle des chansons ou des moralités, selon le temps qu’il fait. En poussant la porte de la cafétéria, vous avez le sentiment de jouer votre rôle le mieux possible compte tenu du bruit des fourchettes et des verres qui trinquent entre les voix. Quelques patients ont obtenu le droit de prendre place parmi vous. On les reconnaît à leur exubérance ou au contraire à leur laconisme crispé, encore que cette incisive clarté ne soit qu’un jeu. Vous ne savez plus, au moment de vous asseoir, qui relève de votre invention ni qui tente de vous soumettre à la sienne. La complexité, après mûre réflexion, a relégué le sentiment de l’absurde derrière les vitrines de la curiosité que l’Histoire inspire encore à ses chercheurs.

 

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