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« Traversées » n’est pas une mince entreprise. Trente ans d’existence. 1200 auteurs publiés. Trente recueils. Et voici le numéro 102. Toujours en poésie, comme en un pays voisin où on peut mettre ses pieds pour avancer encore, sans perdre de vue les terres d’où on vient, sans doute pour y retourner... à jamais. Car si ces poètes —27 cette fois-ci— aiment à sortir de chez eux pour aller ailleurs, ils ne s’empêchent pas de garder un œil sur les landes où le Monde, hélas, décrit sa trajectoire sans se lasser de ce qui s’y passe de bien, de mal, de beau, etc. On a beau dire, la poésie, même mélancolique, ça soulage, comme la grande claque dans la gueule de Prévert. Les mots ne s’assemblent pas pour rien, quelquefois on en retient la métrique, ou le sens, ou ce qu’on y vient chercher, en toute naïveté et conscience, l’une n’allant pas sans l’autre sinon on en meurt idiot. Recevoir ces recueils qui en disent long sur le désir de se secouer les plumes pour ne pas manquer de beauté ni d’honneur, c’est mieux qu’une promesse de ne pas perdre son temps, ça se lit comme ça vient, on se rencontre quelquefois, on ne s’ignore plus, au moins le temps de relire, car maintes pages ne s’oublieront pas. Un peu de calme, peut-être sans luxe, et de la volupté choisie dans le lit de l’intelligence et du cœur, où l’intelligence et le cœur font l’amour pour que ça ne se finisse pas comme ça, comme à la télé ou à la surface d’un de ces objets high-techs que Patrice Breno évoque, colère tenue en laisse dehors comme chien de compagnie, dans sa toujours pertinente et pourtant crispée note éditoriale. Les malheurs et les usages de l’époque n’effacent rien, ni ne condamnent à la page blanche, avec un peu d’exercice et beaucoup de pratique, ce à quoi s’évertuent ces poètes, qu’on les aime ou pas. Traverser sans passeur est un risque que cette excellente revue nous épargne une fois (multipliée par autant de poètes) par trimestre.

Patrick Cintas

Sommaire de ce numéro 102 :