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ÇA - Entrez sans frapper (Extrait) avec Nissa Antar
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 Article publié le 11 juillet 2008.

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ÇA - Entrez sans frapper (Extrait)
avec Nissa Antar

 

Personnages

I- Thislith

II- Argaz (Asli)

III- M’barek

III- Amghar

IV- La Maison (comme sujet dramatique)

Une jeune femme dont le destin vient d’être scellé à celui d’un vieil homme que ses parents lui imposent comme mari prend à témoin la maison du « crime légal », son corps bafoué, son innocence volée et...pousse un cri à l’aube naissante. Un cri pour ne pas étouffer, un cri vers les Hommes, les étoiles, vers la Terre pour que personne n’oublie jamais sa tragédie. Cette parole prise n’a pas d’interlocuteur. Seuls les accents d’un soliloque se font entendre. L’absence (ou presque) de scènes dialoguées préfigure ainsi l’absence de dialogue tout court entre la société des femmes et celle des hommes.

Ça se passe en cette contrée-là qui est toujours un peu la vôtre.

AVERTISSEMENT

 

Cette poésie que vous allez entendre portée par un chant qui s’y laisse diffuser en toile de fond, en dépit du fait qu’aux primes abords elle puisse sembler tout d’une pièce et comme entonnée par une seule voix indivise, est pourtant bien le résultat d’une écriture à deux mains. D’aucuns se seraient sans doute aisément accommodés à l’idée d’une femme écrivant en femme l’intimité d’une autre femme. Mais il nous est apparu à nous essentiel que ce soit au contraire ensemble, femme et homme, que nous devions retrousser nos manches et fouiller cette chose immonde qu’est le viol d’autorité, cette violence confortablement tapie derrière ce dont on convient d’appeler au coin d’une table la tradition. Sans doute a-t-il été toujours commode de dénoncer une idée quand il faut s’en prendre aux hommes.

Mais il reste qu’une écriture à deux n’est guère chose facile. En somme - quelque généreux qu’il puisse apparaître -, l’acte d’écrire pour témoigner d’une réalité sociale souvent ignorée, est assurément toujours plus confortable que celui d’écrire pour apprendre. Alors pour se mesurer à nos propres démons (ceux de notre condition humaine), nous avons décidé d’apprendre. Et cet apprentissage, nous le menons sans fausse pudeur, sans faux-fuyants, c’est-à-dire au corps même de notre chant : là où la singularité de chacun de nous en tant que scripteurs se manifeste ; là où s’entrechoquent nos sensibilités nécessairement différentes, mais qui se rejoignent assurément à tel moment, qui se rejettent parfois ; mais qui se confrontent toujours.

Nous écrivons pour apprendre à nous transformer par cela même qu’on veut transformer l’état des choses.

Mais nous ne sommes pas quittes. Écrire, seul(e) ou à deux, c’est peut-être plus facile que vivre. Cette femme victime de ce que nous appelons un viol légal, si elle était mise en scène ici, n’en est pas moins la traduction d’une souffrance vécue par tant de femmes de par le monde que leur condition même de femmes soumises à leur père, à leur frère, à leur mari, à leur titre de sexe faible oblige au silence, au renoncement quand ce n’est pas à la culpabilité d’avoir osé dire tant soit peu qu’elles avaient mal.

Mais alors, nous aurions dû nous taire face à cette souffrance que l’on n’a pas vécue. Ne rien dire. Par respect. Or, ne rien dire peut confiner à la suprême lâcheté. C’est ainsi qu’on a choisi d’être - certes - un peu moins respectueux mais peut-être dans le même temps un peu moins lâches.

Nissa ANTAR/Nacer KHELOUZ

Première partie

(Nacer Khelouz)

SITUATION I

 

M’barek - La Maison

 

Une grande maison. Une immense maison en briques rouges, avec trois étages qui butent sur une dalle. Des colonnes de ceintures se mobilisent vers le ciel. Elles sont un peu rongées par la rouille mais entendent témoigner qu’il n’y a pas intérêt à venir tant soit peu embêter l’édifice qu’elles soutiennent car autrement elle fuirait encore plus haut. Et puis, cette maison a sûrement dû affronter de rudes hivers quoiqu’elle paraisse d’assez jeune âge. On devine des mains hâtives ; de la précipitation dans la besogne pour la faire pousser plus vite qu’il n’est de raison de le faire. Elle ressemble en cela à un enfant qui a grandi trop vite et dont la voix est gravement comique. Maladroite, elle escalade les pentes des étages, comme poursuivie par un ennemi implacable décidé à ne pas la lâcher d’une semelle. Elle a connu au moins un printemps qui se laisse deviner par les nombreux dépôts de cigognes qui ont élu domicile juste au creux d’un conduit de cheminée. La cheminée paraît n’avoir pas beaucoup servi. Des fissures çà et là. Témoignage d’un séisme lointain mais qui a su s’approcher comme signe annonciateur d’un mauvais présage.

Cette maison qui mobilisera au moins une minute l’attention du spectateur sans que rien d’autre ne vienne à occuper la scène, est éclairée par des lampadaires de part et d’autre de sa façade principale. C’est donc à la nuit tombée que tout commence. La scène est disposée devant l’entrée principale. Deux allées et un jardin légumineux que l’on devine. Pour le moment, on ne voit pas d’autres maisons alentour. Elle constitue déjà un personnage en soi.

 Un homme apparaît. Une large gandoura déchirée par endroit. Une soixantaine vigoureuse, portée sur un front fier et sauvage. Il arbore une abondante barbe. Le regard en feu, il lève les yeux vers le ciel, dos à la maison et simule le geste de faire pousser quelque chose, de bas en haut. Sa voix sépulcrale va imiter ce mouvement par une intonation montante, vibrante. C’est M’barek dit « le fou errant ».

M’barek

 

 

La grande maison est toute vide

Ô Dieu de la nuit !

Disent les assemblées, les sentinelles

Puis le froid

Son froid tel un verdict de la nature

Il en a glacé les murs

Parait-il la laideur en a profité

Pour jeter ses rances hâbleuses

Vous saluant au passage de son torrent

(...) De larmes

 

(Il se retourne pour considérer la maison d’un œil triste)

 

Elle s’y est réfugiée

A-t-on dit.

Puis l’humidité, les recoins sombres, ses complots

De rétention d’espace

Ô latifundiaires mes coreligionnaires ! (Voix presque hurlante)

Et encore compter les écailles tombantes

Les arêtes après la chair

(Pause)

A présent

Minuit sonne (Il met sa main à son oreille, comme pour écouter)

En prévision des jours meilleurs

Les chacals au loin

Tiennent toujours leur revanche

A moins que ce soit des loups

Me direz-vous ? (Il se tourne dans tous les sens pour solliciter une approbation)

Répondent-ils

En bons apôtres

D’autres cris viendront

Demain

Les enfants au fil de l’école

À la lisière des caniveaux malfamés

Je les ai guettés

Les cartables oubliés quelquefois au rebord du fossé

Communal

Quand un certain jour ils se sont battus

Qui se réconcilient au son claironnant

Des billes cristallines

En avant un deux trois mètres

Pour tracer les lignes de démangeaison

Se démarquer du monde adulte

Pour un tour d’enfance mais

Qui ne lèvent jamais la tête au ciel

Barré par les larges baies

De cette maison

Puis les autres alignées

Soldats de l’honneur au garde-à-vous,

Naguère arrogantes et jeunes pousses timides

Naguère idées fiévreuses et vaniteuses

 

La Maison

(Une voix d’homme, caverneuse. M’barek s’immobilise et se tourne vers la maison presque à genoux)

 

Je construirai un dôme, un temple tout-de-haut-vêtu ;

Un rhizome,

Une cavité,

Quand ma voix sera enfiévrée de soliloque ravalé ;

Quand elle se sera ressentie de vos sinistres attentes,

O mes fils maudits pour votre cupidité !

Se libéreront vos peuples tapis dans les coins du burnous parental,

Se déchireront les spasmes de cette terre

Ne voilà-t-ilpas le fellah devenu vieux sage, riche

Turban plein de fellous cérébraux ;

Qui cherche jeune pétale fraîche de rosée

Vierge et bien sage (La voix accentue) avec ça.

Pourquoi pas hypocrite à la pose majestueuse

Au perron des vents complices

Turban en forme de tornade

Gandoura immaculée

Chéchia rouge finissant en lamelles rouges pareillement

Le rouge jure sur le blanc gandoura

Les dents blanches comme des couteaux

Etincelants de bravoure.

Je fis monter mes prérogatives

Descendues vos illusions de succession

Battez vos filles, vos femmes

Qu’elles poussent leurs youyous des aigreurs

Anciennes et actuelles.

Vendez-la votre fille

Au plus offrant

Bénissez Monsieur qui n’a de « Si »

Que Si el Hadj toujours de retour

Des lieux saints et avilis !

Le pauvre homme

Prendra soin de la belle

Par charité musulmane.

À vingt ans,

La pauvre déjà vieille fille

Qui eut consenti à la marier ?

La malheureuse petite... (La voix descend jusqu’à s’éteindre puis se ressaisit en gagnant en énergie)

Bénissez le Vénéré aux quatre-vingt-dix-neuf noms

A-t-elle seulement un tout petit nom ?

Que la noce rouge

Telle une joyeuse plaie en béance

Soit le prélude aux couffins remplis ; aux ventres tassés ;

(Pause)

Aux cœurs à l’unisson !

Mes frères, mes sœurs Gare au

Très Haut.

Amen

(On entend soudain le mot « Amen » répété par d’autres voix inconnues qui semblent sortir de toutes les pièces de la maison et qui brisent l’élan.On eut dit que cette parole est partagée par tout un peuple. M’barek se tourne de nouveau vers la scène et paraît prolonger le cri)

Suite

 

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