Retour à la RALM Revue d'Art et de Littérature, Musique - Auteurs invités [Forum] [Contact e-mail]
AUTEURS INVITÉS
Depuis avril 2004,
date de la création
du premier numéro
de la RALM.
Promenade interdite - chez Tinbad/fiction
Navigation
[E-mail]
 Article publié le 26 novembre 2023.

oOo

Contrairement à ce qu’affirme Faulkner tous les romanciers ne sont pas des poètes ratés, pas plus que certains cinéastes, selon Lelouch, ne seraient au fond que des romanciers frustrés. Jean-Pierre Bobillot aime rebattre les cartes avant de jouer avec les autres. Cet enfer existentiel n’est autre que celui occasionné par les lecteurs en puissance, lesquels risquent fort de se trouver interdits devant l’anachronisme joyeux et inquiétant que constitue à lui tout seul ce roman monofilial.

Averti que celui-ci est en effet le seul et le dernier roman du poète, le lecteur se verra-t-il embarqué par la critique dans le théâtre des métamorphoses promis et tenu par l’équipée néo-romanesque aujourd’hui morte-vivante si l’on en croit le libraire ? (quoique la magnifique édition de Ricardou par les Impressions nouvelles dise le contraire)

L’époque n’est pas au mixte. D’ailleurs l’a-t-elle jamais été ? Les nouvelles s’acharnent sur notre capacité à renaître des cendres de l’enfance. Il n’est plus question que de nations et de territoires, entre autres impostures, comme si nous ne savions pas que rien n’a changé et que ça va continuer. Pourtant, le roman de Jean-Pierre Bobillot, né au moment (à peu d’ans près) où la métamorphose romanesque se clôt sur un cri d’échec (qui n’est pas un aveu), refait surface en nos jours comme si rien ne pouvait contraindre l’art à d’autres jeux que ceux qui l’éternisent. Voyage !

Tout est fait dans cette édition pour lancer l’échelle de coupée : un avant-lire miroitant aux alouettes, un synopsis déroutant introduisant comme en tragédie antique les actes proposés comme autant de journées, une ambiance jean-rollin soigneusement entretenue, une relation détaillée des travaux de construction et de révision (1980/2022), une 4e lanceuse de pistes au cas où  ; enfin une description du projet en ces termes : « l’éducation libidinale : fiXion : tentative de suggestion poétique d’un film mental : »

Encore qu’en matière de nouveau roman je m’y connaisse mieux que le lecteur éclairé par la même chandelle. Et pourtant, malgré toutes ces précautions prises par l’éditeur et l’auteur lui-même, une fois de plus en ouvrant le livre de Bobillot je me sens libéré de tout ce que je suis en mesure d’en savoir. Car une fois de plus, et elle n’est pas de trop, le plaisir de lire se propose à moi dès la première page (c’est en général le sentiment que me procurent les publications des éditions Tinbad).

Vous offensé-je, savants connaisseurs, si je vous dis qu’en lisant ce livre, comme à bord d’un bateau ivre de ses planches et de sa carcasse, je n’ai pas pensé une seconde au récit de l’écriture, ni à une juxtaposition d’histoires incertaines, rien sur le soupçon et son ère, rien que je sache déjà, en somme ; si je vous dis que j’ai plutôt vu passer des pages de Salammbô (éducation oblige), du vieux père (le Mississipi) coupé de palmiers sauvages, et ainsi de ces textes réputés, selon la critique, sur-rédigés… ? Qu’en direz-vous… ?

Quelle lenteur ! Pas une page sans un mot d’ordinaire inusité, sans une nouvelle définition, pas une ligne sans doublure prête à remplacer, on se sent souffleur, tout se refait plan après plan, sans recommencement, comme si la fin de cette histoire (que je ne vous raconte pas) n’en était pas une et qu’il s’agit à chaque instant de rembobiner. Bonjour la tranquillité du projectionniste !

Encore qu’il ne s’agisse pas ici de fignolage. La matière y est essentiellement brute. C’est un film en effet, sauf que l’image de l’objet est nommée, adjectivée, mise en action, en abîme, en évidence. J’ai même senti que cette exigence de mental tient d’abord aux odeurs d’ordinaire absentes de l’écran comme de tous bouquets. Halètements, apnées, déséquilibre, tournoiements, rien ne vous est épargné par le poète-romancier qui invente le médium dont parlait Orson Welles, —lequel devait toutefois s’en tenir à ce que la technologie lui proposait en matière d’appareils de prise de vue ; mais la langue est un tantinet plus généreuse que l’arbre à came.

Pas moins que le cinéaste, le romancier est cerné par les possibilités de sa langue, de la logique de sa langue et de ses ressources sémantiques, par les moyens d’enquête et d’échos. Certes, mais il trouve le moyen d’impressionner notre support rétinien d’autres sensations que nous ne connaissions pas. Il ne suffit pas de voir de visu le rossignol sur la branche : il faut le trouver.

Et ainsi le texte de cette fiXion sautille de fleur en fleur, des plus complexes aux chantonnantes comme si on y était, menant le lecteur non point par le bout du nez, comme au musée des pas perdus, mais selon un tracé qui vaut la visite. En ombre portée, le narrateur de cette enquête est improbable, mais à craindre.

Critiques ne vous laissez pas conduire autrement. Commencez par lire. Et sans doute vous sera-t-il donné, comme par enchantement, de voir et de sentir en quoi ce roman n’est ni nouveau ni ordinaire. Car il en est ainsi de tout ouvrage de qualité : il existe et promet de ne pas en rester .

(petite note de lecture,
sachant que j’ai oublié de parler de l’histoire…)
Patrick Cintas.

 

 

Un commentaire, une critique...?
modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides. Servez-vous de la barre d'outils ci-dessous pour la mise en forme.

Ajouter un document

Retour à la RALM Revue d'Art et de Littérature, Musique - Espaces d'auteurs [Contact e-mail]
2004/2024 Revue d'art et de littérature, musique

publiée par Patrick Cintas - pcintas@ral-m.com - 06 62 37 88 76

Copyrights: - Le site: © Patrick CINTAS (webmaster). - Textes, images, musiques: © Les auteurs

 

- Dépôt légal: ISSN 2274-0457 -

- Hébergement: infomaniak.ch -