Sable et poudre, poivre et sel, et, solitaire mais omniprésente, la poussière qui danse dans le rectangle de lumière vive qui traverse la lucarne du grenier de la maison de mon enfance et qui me fascinait tant.

La poussière dansant dans la lumière : qui révèle l’autre aux yeux de l’enfant ? Que serait un monde sans poussière ni lumière ? L’enfant sentait confusément que cette alliance indéfectible de la poussière et de la lumière composerait un monde, ferait tenir ensemble tout ce qui existe à travers elles.

Absolue simplicité de la lumière solaire. Cils et glandes lacrymales et poils dans les narines, petits filtres protecteurs.

Mordre la poussière, faire mordre la poussière.

Cinq êtres pluriels, cinq êtres qui n’existent qu’au pluriel à l’état de granules, de grains ou de graines.

Grains de poussière ou de sable. Un grain de poussière dans l’œil a parfois autant d’effet qu’une poutre dans l’œil du voisin.

Paille et poutre, paille et poudre aux yeux.

Deux jeux parallèles, l’un destiné à discréditer l’adversaire, le rival, le concurrent et l’autre à le tromper, à le circonvenir pour le séduire, lui soutirer quelque argent, s’introduire dans un milieu afin d’y faire des affaires plus ou moins louches.

Voir la paille dans l’œil du voisin : le chipotage, le pinaillage et la criticaillerie portée jusqu’à une indécente incandescence, jusqu’à la calomnie.

Jeter de la poudre aux yeux : l’illusion rédemptrice ou salvatrice dans le pire des cas dispensée par de savants maîtres à penser assez habiles pour se mettre sous la protection d’une faction puissante mais vacillante qui voit en eux une caution inespérée et une cause à défendre capable de mobiliser un grand nombre d’hommes et de femmes, ou triviale, banale, l’escroquerie pure et simple sans autre motif que vénal. 

Sable, poudre, poivre, sel et poussière.

Sel rose de l’Himalaya, sel bleu d’Iran, sel de Salins les Bains, sel marin de Guérande et d’ailleurs.

Poussière s’envole, sel se dissout, saumure.

Poudre à canon ou bien pigments du bonheur sur les toiles heureuses de grands maîtres. Mise en perspective d’un réel sublimé gorgé de symboles religieux. Courbet s’éveille, fait scandale, sublime le Gour de Conche.

Poudre à canon craint l’humidité, pigments appelle l’eau pour s’y dissoudre et donner toute leur mesure sur la toile.

La poussière ne manque jamais à sa réputation, elle s’insinue partout, volète et se dépose, s’envole puis retombe.

Poussière volcanique, poussière d’étoiles.

Sable prisonnier des ciments, sable du désert, sable des sablières et gravier des gravières, sable des sabliers.

Que de rivières massacrées pour en extraire sable et gravier !

Barbes poivre et sel. Sel, seul à même de relever les plats

Une pincée de sel sur la queue de l’oiseau.

Une pincée de poivre pour mettre en joie les papilles des gourmets. Lointains voyages pour en rapporter les précieuses graines.

Poivre de la Réunion, petite merveille méconnue.

Ashesto ashes, dust to dust.

Les cendres de l’être cher, dispersée dans le champ fleuri, la riante rivière, au large des terres sur une mer agitée.

Urne contenant du sable. Der Sand aus den Urnen de Paul Celan.

Cela qui éloigne de la langue des meurtriers au sein même de leur langue renouvelée. Jusqu’à la stupeur de ne pouvoir plus qu’y suffoquer. Seine saigne ton nom que si peu connaissent.

Tout homme enfermé dans sa douleur, toute femme en souffrance, tout peuple opprimé se veulent les centres épars d’une espérance : N’oubliez pas ! Levez-vous, dressez-vous toutes et toutes qui avez venez après nous !

Poussière d’espérance. De quelle matière es-tu donc faite ?

Comme, comme si de toute cette cendre oubliée qu’aucune urne jamais ne retint, et pour cause, dans les hauts fourneaux de l’horreur des camps, âcre fumée des morts, pestilence tôt oubliée, on ne devait retenir que sa conversion en sable propre à bâtir un monde nouveau.

Jean-Michel Guyot

8 mars 2024