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L'étant
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 Article publié le 7 avril 2024.

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La traîner jusqu’au coffre de la voiture. La crainte de rencontrer un promeneur patrouilleur du noir… « Ne t’inquiète pas. Qui nous voit ? Qui nous pénètre ? Contemple la nuit. Et satisfais-toi. » Je referme le coffre. Ses bagages sur la banquette arrière. Moteur !

 

Je l’emmène à la campagne comme promis. Escalader la terre sous les eaux d’un étang qui m’appartient. Une maison de week-end. Des arbres. Une pelouse grande comme l’ennui. Et une maison de vacances, enfant chez mes grands-parents qui l’avaient achetée. À une bonne heure de route de Paris.

 

La route est porteuse de rêve, elle ajoute des mots au paysage qui commence à défiler dans la lumière du petit matin. Je chante mon bonheur à tue-tête : « Le lieu sera notre étang, tandis qu’elle deviendra grenouilles, joncs, nénuphars ! » Et cette phrase lancinante de Jean Epstein : « Tous les volumes se déplacent et mûrissent jusqu’à éclater. Vie recuite des atomes, le mouvement brownien est sensuel comme une hanche de femme… » La vie se montre devant nous. À la vitesse des mots.

 

J’avais appelé Paul deux jours auparavant. Le jardinier. Ouvrir la maison. Tondre la pelouse. Paul et Suzanne.

Il est très tôt. Trop. Je pousse jusqu’à Chartres boire les bières du matin. Aux pieds de la cathédrale. Mais tout est encore fermé. Je gare la voiture pour dormir une heure ou deux. Je suis bien.

Presque surpris qu’elle soit encore là à mon réveil, « Inoubliable, Chérie et Redoutée » dans les jupes du ciel retroussé. J’entre dans la demeure de La Vierge sur Terre. Grandes lèvres de pierre, vagin de lumière. Toison dorée. Par le portail central au tympan duquel Elle trône en majesté. Chartres, c’est Sa maison, quand on y entre tous les verbes se mettent au présent, présent de l’indicatif et présent de soi : je me donne. Je ne m’appartiens plus. Je suis au cœur du gai savoir du vide. Léger. Le charbon de mon être passe à l’or, du noir à l’urine : je m’inonde ! Je ne m’aime plus, j’aime. Je dis quelques mots secrets à moi-même et en moi-même. Je m’arrête à la petite chapelle Notre-Dame-de-Sous-Terre, je prie. Longuement. Puis, je sors au septentrion et je regarde encore une fois Ses perfections, sur les voussures du portail nord, le triomphe des sages sur les folles, et les douze figures de femmes qui ornent Son âme.

Le retour à la voiture est brutal : ça pue, elle se décompose trop vite ! Et puis ses bagages sur la banquette arrière, c’est idiot. « Les yeux sont sur toutes les routes. Ils scrutent. Ils cherchent l’abomination ! » Et davantage ici qu’à Paris. La province est un vaste roman de Mauriac où on ne vit qu’en convoitise.

Les champs de chaque côté d’une petite route à lacets, puis la forêt. La forêt de La Ferté Vidame. Je prends brutalement à droite un chemin de terre qui s’enfonce sous les arbres.

 

Paul m’ouvre la grille.

 

Jamais je n’ai été aussi tranquille. La Vierge m’habite. Marie a fait un trou dans mon âme par lequel je respire un peu. Moi ! Qui déteste la campagne, les animaux, les fleurs, la nature, revoir la maison de La Ferté Vidame me remplit d’allégresse. Souvenirs d’enfance ? Présence de Saint-Simon, dont c’est aussi le lieu, le château, la ville ? Et de Proust également, Chartres et Illiers-Combray ?

 

Des souvenirs d’enfance heureux, il y en a peu. Depuis ma naissance, ma vie a la consistance d’un mille-feuilles romantique où le moi déchiré ne trouve de solidité nulle part. Sans doute, est-ce de là que vient mon attrait pour la forêt, chère aux écrivains de mélancolie, et que je ne regarde jamais comme naturelle, ce que d’ailleurs elle n’est pas. À vrai dire, je ne sais trop comment l’appréhender, moi qui n’aime que les villes, Paris, Londres, New York… Pourquoi pas en cimetière ? Les chemins forestiers y seraient de croix et l’Ombre jamais sortie du bois…

 

Suzanne, la femme de Paul, avait, jadis, des seins comme des obus et un cul de lessiveuse. Grande blonde aux yeux bleus. Magnifique baigneuse modèle de Picasso.

Enfant, c’était mon soleil autour duquel je tournais ver de terre. Je l’attendais tous les jours, caché derrière un tas de charbon, dans une dépendance où ce charbon était entreposé, et où elle venait pisser. Au fil des jours, des plaisirs et des pisses, les jupes de plus en plus relevées, les reins de mieux en mieux cambrés, elle m’offrait son cul en toute connaissance de cause. Le soir, je lui rendais la pareille. Assis dans un fauteuil du salon, je lui montrais ma bite tendue comme la flèche, cathédrale, (que je tenais cachée des autres derrière un livre ouvert). Elle servait le porto, les petits gâteaux et l’anis.

 

Quelquefois, pendant ou après la miction, elle pétait. Petite vengeance à caractère social. Que j’appréciais à sa juste valeur d’échange : en contrepartie, je découvrais son anus de blonde si doré, rose et dilaté.

 

C’était un secret, entre nous.

 

Puis, comme longtemps m’étais-je trop souvent couché de bonheur de me branler tout seul, elle vînt le faire pour moi. Après, elle me baisait le front et rangeait ses seins en partant.

 

Saint-Simon : « Ces premiers rayons de considération me donnèrent de grandes joies. »

 

Ça n’alla jamais plus loin. C’était comme un entêtement partagé. Même plus tard, quand, en âge de la culbuter sur le tas de charbon, j’étais prêt à « me livrer à elle pour tout ce qu’elle aurait pu souhaiter par les deux cours… »

.

Suzanne aujourd’hui a les cheveux blancs. Elle avait préparé des rillettes de lapin et des côtelettes de chevreuil aux cèpes. L’automne d’un coup dans mon assiette. Devant laquelle, se tient un Clos Vougeot soigneusement mis en carafe.

 

La nuit venue, je m’en vais déposer le corps largement décomposé dans une carriole à ramasser les feuilles mortes. Le ronflement léger du moteur, la lumière jaune des phares dans la nuit, l’aboiement des chiens alentour. La barque lentement au beau milieu des eaux. Omne ens, qua ens, ex nihilo fit.

 

Jacques Cauda

 

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