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La discorde des enfants d'Uranus Littérature astrologique et homosexualité
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 Article publié le 14 octobre 2009.

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La discorde des enfants d’Uranus
Littérature astrologique et homosexualité
Benoît Pivert

A l’heure où l’astrologie revendique avec une insistance grandissante la reconnaissance d’un statut de science humaine à part entière et peut s’enorgueillir de succès tels la soutenance d’une thèse en Sorbonne ou l’ouverture de cursus dans diverses universités anglaises et américaines, le moment semble être venu d’examiner de plus près le discours astrologique sur l’homosexualité. Il ne s’agit à aucun moment de vérifier ici le bien-fondé ou l’ineptie de l’astrologie mais de s’interroger sur le langage qu’elle emploie et, à travers ce langage, sur les conceptions qu’elle véhicule car, comme on s’en apercevra à la lecture de cet article, les mots utilisés par l’astrologie n’ont, en la matière, rien d’anodin. Un discours traitant de l’homosexualité entre criminalité et perversion ou évoquant le sujet au hasard d’un inventaire des déviances tendrait même plutôt à légitimer cette question un peu provocante : l’astrologie serait-elle homophobe ?

On aurait pourtant pu penser qu’unis par une filiation mythologique commune, homosexuels et astrologues avaient tout pour s’entendre. C’est, en effet, en référence à la fille d’Uranus, Aphrodite Uranie, conçue sans femme et née du sperme de son père tombé dans l’océan, que fut forgé par Karl Heinrich Ulrichs (1825-1895) le terme d’ « uranisme » pour désigner l’homosexualité masculine. Il réactualisait là la distinction du Banquet de Platon dans lequel le philosophe opposait à Aphrodite Pandeumia, l’amour commun entre deux êtres de sexe opposés, Aphrodite Urania, cet amour dans lequel la femme n’a pas de place.

Déjà père d’Aphrodite Uranie, c’est encore Uranus qui, étonnamment prolifique malgré son antique castration, donna son nom à la planète découverte en 1781 dans laquelle les astrologues choisirent, par référence au contexte révolutionnaire de l’époque de sa découverte, de voir le symbole céleste d’une astrologie conçue comme transgressive et libératrice.

Fils et filles d’Uranus en vertu d’une filiation lointaine, homosexuels et astrologues auraient dû se comprendre, pourtant il n’en fut rien...

Avant d’être marqué par une hostilité tantôt franche, tantôt larvée, le rapport de l’astrologie à l’homosexualité fut longtemps caractérisé par l’ignorance et le silence. Bien que se targuant d’éclairer à la lumière des astres les ressorts secrets de la personnalité et de la destinée, l’astrologie a, à l’instar de la société, nié des siècles durant par son silence l’existence de l’homosexualité. Si l’on conjecturait au regard des configurations planétaires qu’une union pût être heureuse, retardée, malheureuse ou bien encore stérile, à aucun instant l’astrologue n’envisageait que la Vénus d’une femme pût s’éprendre d’autre chose que du Mars ou du Soleil d’un homme. Les astrologues de cour étaient-ils donc aveugles ? Ne s’interrogeaient-ils pas lorsque, de toute évidence, le souverain préférait au commerce des dames les faveurs de ses mignons ? On dira à leur décharge qu’en des temps reculés où l’on envoyait les sodomites au cachot ou au bûcher, une curiosité trop appuyée eût pu s’avérer funeste. Il paraît pourtant difficile d’excuser un silence aussi persistant. Les poètes n’avaient, eux, pas toujours de pareilles pudeurs. Toujours est-il qu’entre la naissance de l’astrologie aujourd’hui communément datée aux alentours du troisième millénaire avant Jésus Christ et le XXème  siècle, seuls deux téméraires firent mention dans leurs ouvrages de configurations planétaires susceptibles d’évoquer l’homosexualité dans un thème astral. Le premier fut Ptolémée dans sa Tétrabible au IIème siècle après J.C., le second Jérôme Cardan, médecin, mathématicien et astrologue italien de la Renaissance. Chacun émit sur le sujet des hypothèses – divergentes ! – qui finirent par sombrer dans l’oubli.

Après des lustres de silence, ce n’est qu’au début du XXème siècle que certains astrologues comme Aleister Crowley s’avisent d’évoquer la chose à mots couverts. Dans Astrologie[1], ouvrage constitué de textes rédigés en 1915, A. Crowley note à propos de la planète Neptune située dans une certaine partie du thème astral (Vème maison) : « Lord Byron aussi avait cette position et bien que sa poésie fût particulièrement sensée, aucun doute que ses plaisirs ne fussent anormaux dans une certaine mesure, considérés du point de vue de l’orthodoxie ». Bien qu’au regard de l’orthodoxie, les pratiques sexuelles de Crowley combinées à la magie noire aient été encore bien plus « anormales », le ton se fait l’écho de cette Angleterre victorienne qui, quelques années auparavant (1895), avait condamné Oscar Wilde à deux ans de travaux forcés pour « outrages aux bonnes mœurs ». Dans d’autres ouvrages publiés à la même époque, ainsi Le message des astres (1916) de Max et Augusta Foss Heindel, ce sont les mêmes allusions voilées qui prévalent. Les auteurs se rejoignent dans une commune incapacité à appeler l’homosexualité par son nom. Le premier à faire véritablement de l’homosexualité l’objet de ses « recherches » est l’Allemand Heimsoth dans une étude effectuée en 1928[2]. S’il convient de parler de recherches entre guillemets, c’est en raison des méthodes pour le moins insolites mises en œuvre par Heimsoth. Plutôt que de se pencher sur le thème astral d’homosexuels et de tenter d’y décrypter d’éventuels indicateurs astrologiques d’homosexualité, Heimsoth essaie de déterminer d’après leur physique si certains personnages célèbres sont ou non homosexuels. Convaincu, en outre, que les homosexuels sont des névrosés, il s’inspire des études morpho-psychologiques de Kretschmer, lequel avait voulu démontrer la corrélation entre certains types physiques et certaines maladies mentales. Reprenant la typologie de Kretschmer, Heimsoth voit chez les « leptosomes » (minces et longilignes) – et notamment le type du gentleman anglais – une prédisposition à l’homosexualité. Ce type physique (épaules étroites, muscles fins et visage ovale) étant en astrologie traditionnellement associé aux signes des Gémeaux, du Verseau et parfois du Scorpion, Heimsoth affirme que les personnalités présentant de nombreuses planètes dans ces signes sont bel et bien homosexuelles. Il parvient à cette conclusion prodigieuse que les hétérosexuels patentés présentant ces caractéristiques sont en réalité des homosexuels « latents » tandis que les homosexuels pratiquants dont le thème natal est vierge d’indices astrologiques concordants se méprennent sur leur vraie nature et sont en réalité… des hétérosexuels refoulés. Il suffisait d’y penser ! On mesurera également la portée des conclusions en ne perdant pas de vue que l’étude portait sur 30 thèmes d’individus officiellement hétérosexuels…

 Si la méthode ne fut jamais reprise, la volonté de jeter des ponts entre astrologie et psychologie va s’avérer déterminante pour toute l’évolution du langage astrologique au XXème siècle, notamment à partir des années soixante et de la diffusion massive de la psychanalyse et du discours psychologique. Traditionnellement art prévisionnel, l’astrologie a voulu peu à peu se transformer en outil – parmi d’autres – de décryptage du fonctionnement psychique et, se concevant volontiers comme un éclairage complémentaire à la psychologie, c’est à ce titre qu’elle revendique désormais le statut de science humaine. Afin de se donner les moyens de ses ambitions, elle a commencé par faire sien le discours psychologique et psychanalytique. L’un des pionniers français de cette tendance fut sans doute André Barbault avec De la psychanalyse à l’Astrologie (Seuil, 1961). La Fédération des Astrologues Francophones (FDAF) le présente ainsi : « sa rencontre avec la psychanalyse lui fait redécouvrir l’astrologie en tant que première « science humaine » des Anciens et l’engage à la restituer en connaissance moderne ». Aujourd’hui, nombre des auteurs dont les ouvrages remplissent les rayons des librairies affichent conjointement les titres d’astrologue et psychothérapeute. C’est le cas de Liz Greene, astrologue et analyste jungienne ou de Philippe Granger, psychologue clinicien, psychanalyste et enseignant en psychologie à l’Université de Nanterre qui a animé avant sa mort des séminaires publiés aujourd’hui sous le titre d’Astrologie psychanalytique[3]. Dans Connaissez-vous par votre signe astral (Pensée Moderne, Jacques Grancher éditeur, 1975), l’astrologue Joëlle de Gravelaine célèbre ainsi les noces de l’astrologie et de la psychanalyse : « de toutes les typologies – ou science des types humains – l’astrologie est la plus riche, la plus subtile, la plus universelle. Et sans doute, avec l’aide de la psychologie des profondeurs qu’elle enrichit en retour, permettra-t-elle dans l’avenir une connaissance infiniment plus rapide et plus sûre des mécanismes humains, des structures psychologiques etc. ».

On aurait pu penser que la volonté affichée d’enrichissement mutuel entre astrologie et psychologie entraînerait chez les astrologues un intérêt accru pour la question de l’homosexualité et surtout une plus grande ouverture d’esprit. Ce serait oublier un peu vite à quel point le discours « psy » a, notamment sous l’influence de Freud, enfermé l’homosexualité durant des décennies dans le carcan de la pathologie en la rangeant parmi les perversions. Il convient de se souvenir que l’ International Psychoanalytical Association interdit aux homosexuels l’exercice de la profession de psychanalyste et que ce n’est qu’en 1973 que l’American Psychiatric Association a supprimé l’homosexualité de la liste des maladies mentales. Elisabeth Roudinesco, éminent auteur du Dictionnaire de la Psychanalyse (Fayard, 1997) interroge aujourd’hui ses pairs : « Peut-on considérer sérieusement l’homosexualité comme une perversion sexuelle au même titre que la zoophilie par exemple ? Ne faut-il pas réviser le domaine entier des perversions et distinguer par exemple plus nettement la perversion en tant que structure et les perversions sexuelles ? En conséquence, peut-on continuer, contrairement à l’évolution des sociétés occidentales, à exclure les homosexuels de la profession de psychanalyste ? » De telles interrogations laissent songeur mais on mesure mieux à leur lecture quels ravages le discours psychanalytique a pu exercer sur la perception de l’homosexualité. Cela vaut notamment pour l’astrologie qui, bien que prétendant « aider les intelligences à progresser sur le chemin de la connaissance libératrice »[4], a le plus souvent reproduit servilement le discours psychanalytique, ne manquant jamais une occasion de mentionner l’homosexualité dans son inventaire des « perversions » et autres « déviations ». L’astrologie pratique en la matière un art consommé de l’amalgame qui en dit long sur la piètre « estime » dans laquelle beaucoup d’astrologues tiennent les homosexuels. Cela n’aurait en soi rien de calamiteux si les ouvrages d’astrologie étaient réservés à un public d’initiés dans des librairies ésotériques confidentielles mais les citations qui vont suivre sont extraites d’ouvrages destinés au grand public en vente dans « les meilleures librairies ». On imagine aisément le malaise que peut susciter chez un être en proie à des interrogations sur son identité ce discours pathologique dans lequel l’homosexualité est invariablement présentée comme une anomalie. Afin de mesurer l’étendue et la persistance du désastre, il suffit de jeter un œil sur les ouvrages publiés au cours des dernières décennies.

Dans leur Dictionnaire des Aspects Astrologiques[5] (1994), Martine et Danièle Barbault notent à propos des individus ayant une conjonction entre les planètes Vénus et Neptune en Scorpion : « Plus complexes sont les amours dans ce signe torturé. L’éventail est plus grand, passant des amours mystiques aux amours plus ou moins perverses (sadomasochisme, homosexualité…)[6]. On laisse au lecteur le soin d’imaginer sur quelles abominations les points de suspension jettent un voile pudique. Les auteurs récidivent avec les « mauvais » aspects entre Vénus et Pluton : « Cela peut aller de l’attachement masochiste à un partenaire qui ne convient pas (déjà pris ou non aimant, malade, homosexuel, menant une carrière dangereuse…) à des amours plus pathologiquement destructrices (mourir d’amour, voire tuer par amour dans les thèmes pathologiques…) »[7]. Une fois encore, l’homosexualité apparaît au fil d’une énumération qui donne des frissons. Dans le même registre se situe l’ouvrage de Claire Ross et Annie Paquet L’Astrologie[8] destiné à « comprendre, apprendre, enseigner le thème astral ». Comme toujours, les propos préliminaires se veulent libérateurs, la démarche uniquement assoiffée de vérité : « Nous y gagnerons la liberté liée à la connaissance. Nous cheminerons vers une lumière appelée aussi lucidité. (…) Nous saurons mieux « comment » nous y prendre pour vivre avec nous-mêmes, avec les autres »[9]. La référence à la psychanalyse est constante et notamment à l’ouvrage de Laplanche et Pontalis, Vocabulaire de la psychanalyse. Sont-ce ces références appuyées qui valent aux homosexuels quelques mésaventures, toujours est-il que l’homosexualité apparaît une fois encore en fort mauvaise posture et en sulfureuse compagnie. Lorsque les planètes Vénus et Uranus sont « dysharmoniques », « c’est la porte ouverte à toutes les perversions amoureuses possibles. C’est un aspect d’amoralité amoureuse. C’est une des composantes de l’hystérie et de l’homosexualité en rapport avec l’attirance pour l’étrange et un narcissisme important. Le sujet s’aime lui-même avant d’aimer l’autre. »[10] Les individus chez qui Vénus est conjointe à la Lune Noire ne sont pas mieux lotis : « Cet aspect est l’une des composantes de l’homosexualité pour les deux sexes. Il est fréquent chez les Don Juan, les masochistes sexuels, les nymphomanes, les femmes violées et les enfants maltraités »[11]. De grâce, n’en jetez plus !

Un lecteur indulgent pourrait finir par se dire qu’au fond, l’astrologie est uniquement la victime de son inféodation au discours psychanalytique et qu’il serait plus judicieux de s’interroger pour savoir si la psychanalyse est homophobe. C’est là un autre débat qui ne saurait disculper en rien la gent astrologique. En effet, ce regard d’un autre âge porté sur l’homosexualité ne se borne pas à l’astrologie « psy », c’est le discours le plus fréquemment tenu dans les ouvrages rédigés par des auteurs d’inspirations les plus diverses, y compris les plus féroces détracteurs de la psychanalyse comme Hadès, auteur de La psychanalyse, sacrement du diable[12] . Dans son Guide pratique de l’interprétation en astrologie[13] (1969), le chapitre intitulé Cas pathologiques ne comporte qu’un seul cas ( !) : Thème n° 22. Un cas d’homosexualité[14] . On peut y lire les clichés les plus éculés : « La personnalité est passive, se laissant aller, incapable de ressort et rejetant instinctivement les forces mâles, actives et viriles. »[15]. Le lecteur n’échappe pas au plus pernicieux amalgame entre homosexualité et pédophilie : « Cet homme trouve en face de lui des gens jeunes, autrement dit des garçons ou des adultes plus jeunes que lui, partageant ses conceptions contre-nature. Uniquement désireux d’un plaisir sexuel. (…) Toute cette vie prend ainsi la couleur d’un lamentable échec. Toutes les forces ne sont utilisées que pour le désir et la jouissance contre-nature. Cet homme recherchera l’illégalité, le mystère de son vice qu’il tient à garder secret. »[16]. Comme souvent, l’astrologue se croit tenu d’éclairer le malheureux mortel, ce qui amène Hadès à cette conclusion prodigieuse : « Si l’astrologie était reconnue et enseignée, une action avant la puberté serait sans doute de nature à changer ces tendances. On s’aperçoit en étudiant ce thème que l’homosexualité devrait vraiment être tenue – et soignée obligatoirement – comme une maladie ».[17] Le chapitre suivant est intitulé Le crime et s’ouvre sur le thème n° 23 : Docteur Marcel Petiot, auteur de 27 assassinats. Un tel voisinage est moins rare qu’on pourrait le penser. A une date récente encore (2002), l’astrologue parisienne Carole S. proposait dans le programme de son enseignement un cours intitulé Criminalité, homosexualité, perversions[18]. Coincés entre criminels et pervers, les homosexuels pourront toujours chercher l’issue de secours… L’exemple d’une autre jeune astrologue, Valérie d’Armandy, née en 1965, auteur de L’impact astral[19] (1999) montre que les préjugés touchent bien toutes les tranches d’âge et les différentes écoles d’astrologie, en l’occurrence l’astrologie « karmique » basée sur l’étude des vies antérieures, qui, surfant sur la vague zen et bouddhiste, connaît actuellement un engouement certain. Le lecteur est soulagé d’apprendre en avant-propos que « les attirances pour son propre sexe n’enrayent en rien une belle histoire d’amour » [20]et que « les grandes histoires homosexuelles célèbres n’ont pas exclu l’adhésion au bonheur.[21] » Voilà qui ouvre des perspectives… Toutefois, aussitôt l’horizon s’assombrit. Il semble qu’il suffise de chasser le naturel des astrologues pour qu’il revienne au galop. Le lecteur retrouve sans transition le sempiternel vocabulaire du « vice » et de la « déviation ». Etudiant le thème natal d’un « homme ayant du mal à faire un choix sexuel », Valérie d’Armandy note : « Neptune, planète absorbante, le conduit vers l’esclavage des fantasmes. La maison de la sexualité est la fin du signe du Taureau puis le Gémeaux, son deuxième maître (Mercure en Sagittaire) est en exil, faisant la déviation sexuelle. (…) Mars dans le signe des Poissons évoque les désirs de fantasmes et la puissante imagination, mais aussi les vices. »[22] Même la philosophie ne met pas à l’abri de discours à l’emporte-pièce. Dans son ouvrage intitulé Synastrie, l’astrologue Jean Texier, philosophe de formation qui, à l’occasion, se recommande de Kierkegaard, note à propos des aspects d’opposition entre Vénus et Uranus dans le thème de deux individus : « Parfois, cette opposition indique une relation homosexuelle ou une attirance à caractère anormale ».[23]

On aurait tort de croire qu’un discours tantôt moralisateur, tantôt psychopathologique sur l’homosexualité serait le propre de la seule astrologie francophone même s’il faut bien avouer que, modération anglo-saxonne ou politiquement correct obligent, Américains et Britanniques ne sauraient rivaliser, en matière d’outrances verbales sur l’homosexualité, avec leurs homologues français. S’il convient de citer ici quelques noms, c’est parce que l’école anglo-saxonne représente une large part des ouvrages présents dans les rayonnages des librairies françaises et attire nombre de lecteurs en quête de développement personnel avec des titres comme Le guide astrologique des relations humaines[24] ou Astrologie, karma et transformation[25]. Ce que l’on peut reprocher aux auteurs, c’est sans doute de montrer avec insistance une image peu valorisante de l’homosexualité fréquemment associée à une froideur des sentiments et à l’incapacité à s’attacher. A propos des liens entre les planètes Vénus et Uranus, Stephen Arroyo note : « Uranus est toujours quelque peu impersonnel et en heurtant Vénus, il confère une teinte impersonnelle à l’attitude des gens face à un comportement émotionnel et sexuel. Il est fréquent de rencontrer cette manifestation chez les femmes qui changent souvent de partenaires ou qui s’adonnent à des relations homosexuelles [26] ». En dépit d’une indéniable subtilité psychologique par ailleurs, Liz Green dans son Guide astrologique des relations humaines livre au lecteur à travers le portrait de Victor un ramassis de tous les clichés sur la folle furieuse débauchée  : « La vie amoureuse de Victor était prévisible. Le milieu homosexuel dans lequel il s’intégra – à New York d’abord, puis à l’université et par la suite – possède ses propres lois en matière de relations : la drague dans un bar, la rencontre rapide, le fantasme éphémère, les disputes entre les deux animas[27] susceptibles et vaniteuses, la rupture soudaine, la quête d’un nouveau partenaire. (…) Dans ses rapports avec les hommes, il tenait en général le rôle féminin. (...) Il n’avait jamais compris que le décor de son appartement, dès qu’il se fut installé à l’université reproduisait le décor dans lequel vivait sa mère – depuis les tentures et les abat-jour jusqu’aux animaux en porcelaine sur la cheminée.[28] » Bien que l’auteur prenne la peine de préciser : « il ne s’agit pas du thème d’un homosexuel[29]  ; c’est celui d’une sensibilité particulière qui est devenue le jouet d’un archétype[30] puissant et ne peut – ou ne veut pas – s’en dégager par peur d’une confrontation douloureuse avec soi-même »[31], il n’en demeure pas moins que c’est sur cet homosexuel en particulier qu’elle s’attarde. Il faudrait certes beaucoup de mauvaise foi pour nier l’existence de Victor car nous en connaissons tous des copies conformes mais pourquoi faut-il donc toujours que l’homosexualité soit représentée sur fond de mal-être, d’excès libidinaux et de souffrance. Là où l’astrologie anglo-saxonne traditionnelle rejoint l’astrologie francophone, c’est sans doute dans son incapacité à donner une image – ne serait-ce qu’occasionnellement – positive voire simplement harmonieuse de l’homosexualité… L’homosexuel y demeure le représentant d’une minorité souffrante – mais respectable – un « handicapé de la vie » pour lequel les choses auraient pu – et même dû – mieux se passer si elles n’avaient, quelque part dans l’enfance, malencontreusement dérapé.

Il semble légitime de se demander s’il convient d’incriminer une réticence des astrologues à l’égard de l’homosexualité ou une difficulté fondamentale de l’astrologie à prendre en compte un mode de vie allant à l’encontre de ses symboles. Force est en effet de constater que l’astrologie fonctionne traditionnellement sur un mode de polarité entre masculin et féminin envisagée sous l’angle de la complémentarité. Il y est question de signes masculins et féminins, de planètes masculines et féminines et dans l’univers astrologique, les noces annoncées sont celles du Soleil et de la Lune, de Mars et de Vénus. A la décharge des astrologues contemporains, il convient de dire que depuis l’Antiquité, l’astrologie traditionnelle n’envisage jamais que l’union du masculin et du masculin ou du féminin et du féminin puisse être heureuse. De cela, il découle que la plupart des ouvrages de compatibilité astrologique (« synastrie ») disponibles sur le marché sont proprement inexploitables pour les homosexuels puisqu’il y est à longueur de pages question de l’effet des planètes de l’homme sur les planètes de la femme et réciproquement. Comme diraient les beaufs, les couples homos n’ont qu’à se demander qui fait l’homme et qui fait la femme… Mais chacun sait que les choses ne sont pas aussi simples !

Il n’y a pourtant pas lieu de désespérer. Si, considéré dans son ensemble, le tableau est encore sombre, çà et là apparaissent quelques rayons de lumière. Interrogés par nos soins sur l’homosexualité au détour d’une discussion sur un forum astrologique (Univers-site), les participants – regroupant professionnels et passionnés – ne se sont livrés à aucun dérapage homophobe. Le ton était même plutôt à la compréhension et à la tolérance. Nombreux étaient les membres du site qui déploraient le sectarisme du discours traditionnel sur la question. Mêmes réactions sur le forum de la Fédération Des Astrologues Francophones. On ne peut donc que regretter que cette ouverture d’esprit ne se traduise pas par de nouvelles publications ou de nouvelles recherches sur la question. A l’heure actuelle, en effet, néophytes, passionnés ou simples curieux sont toujours condamnés à la lecture d’ouvrages dont le son de cloche est fort différent. Le livre d’Odette et Christophe Norman, Astrologie et homosexualités, constitue à notre connaissance l’unique et heureuse exception dans le paysage de l’astrologie française. La faiblesse du livre tient sans doute à ce que, en dépit du pluriel annoncé par le titre, l’homosexualité féminine est entièrement occultée, passée sous silence de la première à la dernière page. Malgré cet étrange parti pris, le ton est résolument gayfriendly. Sans porter de jugements, les auteurs se proposent de démontrer qu’il existe dans le thème natal des indices d’homosexualité. Leurs propos sont assortis de portraits de personnalités connues (Marcel Proust, Montherlant, Pasolini…). Le livre se referme sur un chapitre au titre prometteur (La rencontre idéale) dans lequel les astrologues qui tiennent la plume présentent tous les facteurs à prendre en compte pour que durent les feux de l’amour… Si l’astrologie française tournée vers un public gay n’en est qu’à ses balbutiements, elle a, outre-Atlantique suscité de véritables vocations et a donné naissance à de nombreux ouvrages ou sites Internet (Queer astrology, Astroqueer’s stars etc.). S’il reste encore à démontrer que les traits de caractère d’un Taureau homosexuel diffèrent suffisamment de ceux d’un Taureau hétérosexuel pour justifier des ouvrages spécifiques, le ton de ces publications n’en demeure pas moins très plaisant. Le plus souvent rédigées par des gays et des lesbiennes, on y pratique une forme d’autodérision qui n’est pas sans rappeler Stephen Mc Cauley ou Armistead Maupin. Un bon exemple du genre nous est fourni par Queer Astrology For Men[32] et Queer Astrology for Women de Jill Dearman disponibles dans les librairies gay parisiennes. Le lecteur a le bonheur d’y échapper à l’hétérocentrisme, aux propos sentencieux… et de s’y divertir. Comme cela était prévisible à l’ère de la mondialisation, le marché juteux que représentent les gays et les lesbiennes n’a pas échappé à l’œil avisé de certains créateurs de sites Web francophones qui commencent à s’engouffrer dans la brèche… Ici comme ailleurs, les homos doivent veiller à ne pas être pris pour des gogos à qui l’on tente de vendre n’importe quoi. On peut ainsi s’interroger sur le sérieux d’un site qui propose pêle-mêle un tarot canin hebdomadaire, une étude d’affinités homosexuelles des signes astraux et des recettes de cuisine asiatique. Certes, la plupart de ces rubriques sont gratuites, mais si vous désirez savoir « comment vous attacher les hommes » ou « comment maigrir d’après votre signe astral », il vous en coûtera le prix d’un numéro surtaxé…

S’il est en revanche une question sur laquelle aucun numéro surtaxé ne pourra jamais vous fournir la moindre certitude, c’est bien celle de savoir si l’homosexualité est ou non décelable dans un thème astral. A cette question, nous n’avons pas non plus apporté de réponse mais telle n’était pas notre ambition. Que – comme l’affirment les chercheurs d’indices que nous avons cités – l’homosexualité soit visible dans un thème ou qu’au contraire – comme d’autres astrologues le prétendent – l’orientation sexuelle soit impossible à déterminer à partir de la carte du ciel à l’instar de la religion, de la race ou du niveau d’éducation, ce qui nous importait ici, c’était bien plutôt de susciter une réflexion sur un discours qui tout en se voulant porteur de lumière et de liberté se fait trop souvent encore le relais de préjugés d’un autre âge. Si l’astrologie aspire à éclairer les êtres, ne devrait-elle pas commencer par sortir elle-même de ses propres ténèbres ? 

 


[1] Aleister Crowley, Astrologie, cité d’après les éditions Dangles, 1979, p. 131

[2] Karl Günter Heimsoth, Charakter-Konstellation, Munich, 1928

[3] Philippe Granger, Astrologie psychanalytique, Editions du Rocher, 1996

[4] Germaine Holley, Comprendre votre horoscope, éditions du Rocher, 1990, Monaco, p. 15

[5] Martine et Danièle Barbault, Dictionnaire des aspects astrologiques, 1994, Paris, Editions Bussière.

[6] Ibid. p. 283

[7] ibid., p. 293

[8] Claire Ross, Annie Paquet, L’astrologie, Albin Michel, Paris, 1994.

[9] ibid., p. 9

[10] ibid., p. 258

[11] ibid., p. 256

[12] Hadès, La psychanalyse, sacrement du diable, Paris, éditions Bussière, 1987

[13] Hadès, Guide pratique de l’Interprétation en Astrologie, Bussière, Paris, 1969

[14] ibid., p. 122 sq.

[15] ibid., p. 123.

[16] Ibid.

[17] ibid.

[18] Simple coïncidence ou prudence, après l’envoi par nos soins d’une demande d’explication à l’astrologue, le programme des cours a été retiré d’Internet.

[19] Valérie d’Armandy, L’impact astral, F. Lanore, Paris, 1999.  

[20] Ibid. p. 75

[21] Ibid., p. 75

[22] ibid. p. 78

[23] Jean Texier, Synastrie, éditions du Rocher,

[24] réf. ci-dessous

[25] Stephen Arroyo, Astrologie, karma et transformation, éditions du Rocher, 1978.

[26] Stephen Arroyo, Les cycles astrologiques, éditions du Rocher, 1986, p. 181

[27] Concept tiré de la psychanalyse jungienne pour désigner la part de féminin chez un homme.

[28] Liz Green, Le guide astrologique des relations humaines, éditions du Rocher, p. 252.

[29] Entendons par là « thème typique d’un homosexuel ».

[30] Ailleurs, Liz Green précise : « Victor, avec la naïveté propre au mortel, cherchait à jouer l’ancien mythe du puer, de l’éternel adolescent lié à l’insatiable déesse-mère (…). » ibid., p.252

[31] Ibid., p. 254

[32] Jill Dearman, Queer Astrology for Men  : An Astrological Guide for Gay Men et Queer Astrology for Women : An Astrological Guide for Lesbians, New York, St Martin’s Griffin, 1999.

 

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