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L’enfant d’Idumée - [in "Coq à l’âne Cocaïne"]
Chapitre XVII - Oubliette d’ennui

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 Article publié le 1er mai 2016.

oOo

Si c'est un garçon, je surprendrai sa nudité rebelle. Dans la prison où il a trouvé le repos, Bernard écrit ses mémoires qu'il mélange chaque jour à des pensées en formation traversées de personnages et d'évènements qu'il ne peut pas inventer. L'emploi du temps, réglé de l'extérieur, ne lui pose aucun problème d'adaptation. Il s'accroche à ce temps, presque désespérément. Il ne voit plus personne de l'extérieur.

Raoul a trahi sa confiance. Il y a des années entre eux. Et cet amour déchiré, ciel et terre plutôt qu'ombre et lumière. Richard est peut-être mort. Si c'est le cas, il est mort de ce même épuisement. La prison de ses sentiments l'a emporté à l'horizon de son angoisse. Voyage incomparable. Même le miroir n'en reflète rien.

Ce n'est pas un roman. C'est une vie qui s'en va. Les fenêtres n'en disent rien. Ni à travers les barreaux ni à travers l'écran et encore moins dans le regard de ceux qui reviennent. Bernard a senti cette menace d'inexistence. Il a deviné cette fin, cet anéantissement lent, cette histoire du silence.

Le cahier s'ouvre sur un souvenir d'enfance. Il a pris le temps de se souvenir. Ce pouvait être le premier souvenir. C'était une allégorie. Le découpage de la mémoire est un voyage allégorique. Les périodes du temps ont passé, leur amplitude visuelle, la fréquence des douleurs cognitives, l'onde se propage jusqu'au temps présent. Le temps de l'écriture imitation d'un futur qui retournera au silence.

Cette idée de décomposition a le temps de vous détruire. On n'est jamais surpris par ce qui finit par arriver. Ce n'est pas la même mort. Les livres n'ont pas le même sens. L'amitié n'a aucun sens. L'amour ne peut pas exister sur fond de bonheur. Il y a ce goût pour la tranquillité relative.

Cellule, couloir, cour, atelier, livres, visages impénétrables, histoires innombrables, visiteurs attentifs et parfaitement étrangers au drame qui se joue. De la fenêtre, la ville réserve des changements dérisoires. La part du ciel est réduite par les montagnes. Rien ne bouge aux fenêtres. Elles sont fermées de ce côté de la vie. On devine une rue toujours déserte. On ne s'y promène pas. Seul le regard s'y aventure. Par ennui. Ou par manque d'imagination.

C'est la seule fenêtre. Bernard n'en connaît pas d'autres. En tout cas, il ne s'y arrête jamais. Il aurait l'impression de vider un territoire inconnu. Il ne veut pas demander ces explications. Il est avare de confidences. Tuer sa propre femme n'est pas tuer la femme. Un seul meurtre n'explique pas tout. Et ce silence que personne n'habite.

Une seule fois, Bernard a fait la démonstration de sa violence cachée. Il a crevé l'œil d'un voleur. Sans plaisir. Il a menacé d'autres regards depuis, mais sans jamais passer à l'acte. Il en parle vaguement dans le journal, quand ça arrive, si ça arrive vraiment.

Voilà à quoi se trouve finalement réduit le roman que je voulais achever avant l'été. Il a bien fallu que je montre le bout de mon nez. Les acacias avaient fleuri et maintenant on devinait le changement de couleur des châtaigniers. Encore un dimanche et je m'abandonne aux regards, me dis-je.

D'abord, les yeux de Constance qui ne commencera pas par me demander des nouvelles de mon imagination peut-être encore en vadrouille au moment où elle cherchera à en deviner la profondeur. Les yeux de Constance me détruisent toujours de cette manière. On se retrouve pour recommencer. C'est désespérant.

Si j'avais continué sur le chemin du roman, j'aurais exagéré la solitude de Bernard jusqu'à le rendre malade de jalousie. J'aurais pris plaisir à en décrire les détails sordides. J'aurais imaginé une espèce de condamnation à l'éternité du texte. Crever dans cette boue verbale est une phobie inavouable. Il n'y a pas d'impasse. C'est le temps qui menace de ne pas s'arrêter si c'est l'heure.

L'esprit de Bernard ne trouve aucune compensation à cette perte d'équilibre du côté de l'angoisse. Son sexe n'est plus une réalité. Seul perdure le texte des autres. L'abus des drogues. Les histoires qui prouvent quelque chose parce qu'on désire la révision du jugement qui vous condamne à l'oubli. Littérature de cachot, oubliette d'ennui.

Bernard ne demande rien. On le voit rarement tendre la main pour recevoir ce qui lui revient. Il abandonne son bien. Mais son regard est critique. La justice est en lui. Petite pensée, surprise par l'odeur du chèvrefeuille. Je suis sortie. Désir de propreté. Je me suis douchée sous le porche. Tranquillement. Me dépouillant un peu. Cette peau n'est pas la mienne. J'ai tenté d'imiter cette écriture. J'en ai approché l'intense floraison. Même l'enfant est apparu.

Il dénigrait le graphisme de l'écriture. Son père écrit de droite à gauche, ou du centre vers la circonférence, écriture centrifuge, lecture centripète, l'enfant n'ignore rien de cet exercice de la condensation. Il en parle presque. Il retrouve les images. Il illustre sa pensée. Il a l'habitude de la conclusion esthétique. Il en a hérité. J'ai écouté pendant des heures ce petit garçon volubile et gracieux. Cette fois, il m'a surprise au cours d'une crise de soliloque grimaçant. Il riait à la fenêtre. Je n'avais rien écrit.

Il apportait un exemplaire de l'écriture de son père. Il en déroula l'infini sur ma table. Il ne savait pas lire. Mais il ne figura rien. Il concevait parfaitement la possibilité d'une abstraction finalement véridique. Moi je voyais un oiseau et l'œil de l'oiseau était l'incipit inévitable. Nous n'en trouvâmes pas la sonorité. Mais l'enfant ne renonçait pas. Il reviendrait. Il reviendrait toujours. Ce n'était pas un oiseau : c'était une lettre indifférente aux raisons de l'alphabet : elle venait du cœur.

N'avais-je jamais remarqué la présence d'un homme sur le toit de l'église, à l'heure du carillon ? Avais-je observé cette immobilité, même sous la pluie ? Cet homme écrivait des lettres à une femme qui pouvait être la sienne. Les lettres n'étaient pas des oiseaux. Elles étaient lisibles. Et j'étais parfaitement incapable d'en traduire la douleur. Tout ce que je trouvais à dire, me reprochait l'enfant, n'avait aucune importance relativement à son bonheur de croyant. Il montrait le chemin de sa foi. Il ne demandait pas qu'on le suive sur les traces d'un passé conforme aux sensations que lui procurait la vision de ces lettres. Il ne traverserait ce miroir qu'à la condition d'être compris.

Petite fille effarouchée par un mot inexplicable. Elle ne connaissait rien de ce silence sur quoi ma raison d'écrire venait de se fracasser une bonne fois pour toutes. Mon écriture ne lui inspirait rien de profondément revisité. Elle comprenait la nécessité d'une petite musique en marge des conversations. Mais qui était-elle pour en pleurer ? Elle demeurait indifférente à mes inflexions.

Le peu de mots sacrifiés à cette incompréhension. Ce sera l'enfance d'Isabelle. Je n'emprunterais plus à Constance ces regards inquiets et ces traces de main entre nos querelles et le paysage toujours champêtre et intranquille. J'imaginerais une agonie ponctuée par des coups de couteau. Le cri de Bernard pendant cette minute de meurtre. La gorge coupée d'Isabelle dont le cri est un souffle qui cherche le cri. Les mains inutiles. Cette douleur dans les jambes. La sensation d'un empoisonnement qui vient de l'intérieur. Bernard transformé en ombre. Et le corps de la femme qui s'enferme vite dans cette logique de la différence.

Enfance tuée à coups de couteau. Enfance éternisée par la sentence. Fille ou garçon ? La voix est celle d'une fille. Le regard est d'un garçon qui veut comprendre. La fille est un chant imité de la passion. Désir de cet enfant qui revient à intervalles réguliers. Barreaux d'une échelle contre le mur de la maison qu'il faut habiter sous peine d'y être enfermé pour toujours. Antoine en fuite, introuvable et un jour disparu. Constance regrette.

Elle regrette pour l'enfant. Elle regrette pour Malcolm. Elle l'a aimé pour ne plus aimer Antoine. Elle m'aime parce que je suis la mère de l'enfant. Ressemblera-t-il à l'enfant du dimanche ? Elle m'a envoyé cette énigme. Le bouquet est un prétexte. Le bouquet du dimanche. Véroniques ou mauves. Un horloger. Sans écriture illisible. Son enfant messager. Le feu qui le détruit maintenant. Elle n'a pas pensé aux conséquences du bouquet. Elle se donne pour exister sans Malcolm. Antoine ne troublera plus ces heures finissantes.

Pourvu que je n'en écrive rien. Pourvu que je ne la trahisse pas. J'ai promis d'être belle cet été. Les dernières pluies ont fasciné l'enfant du dimanche. Elle s'acharnait sur les épaules de son père tandis qu'il actionnait un levier qui n'était qu'une ébauche infidèle à son idée du mouvement à mettre en jeu. Pluie du ciel, soleil du ciel, étoile, vide, impossible voyage. Le trajet est purement littéraire. On arrive à l'horizon du texte pour l'achever en beauté. Fille-garçon, le corps assassiné de Malcolm. Fille-garçon, l'esprit inachevable d'Antoine dans sa fugue prometteuse d'autres aventures de la mort donnée ? C'est l'enfant de Malcolm, mon ventre en témoigne. C'est donc aussi un peu l'enfant de Constance.

C'est curieux comme nous ne pensons plus que très rarement à Antoine. Il a vécu dans cette maison. J'aurais dû penser à cette enfance. Il y a découvert le moyen de la quitter pour une vie meilleure. On y vivait mal. Il a fallu l'intervention du maître d'école pour changer le destin d'Antoine. En quoi consistaient ces signes d'intelligence qui expliquent la décision du maître ? Antoine est né pauvre. Ce pourrait être ce petit garçon échappé par miracle de l'enfer des bombes. La petite fille s'appellerait Virginie et elle serait la cause de tout ce qui est arrivé. Disons que tant que la petite fille est en vie, rien n'arrive. Et ce qui arrive quand Malcolm la tue par accident (il tue la fille de Constance qui est son amante : point de départ véridique de cette histoire que je n'ai pas raconté à cause d'un enfant qui m'obsède), c'est ce que je n'écris plus parce que la force me manque pour dire la vérité.

Pas facile, l'autobiographie. Atroce, cette trajectoire allégorique malgré le regard. Je n'en parle pas à l'enfant, fille ou garçon. Je ne m'invente pas un amant de passage. J'ai cru à cet orgasme. Constance me croit. On attend. Et pendant ce temps, l'enfant se met à exister à la place du démon textuel qui voulait le détruire.

 

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