La caresse est le produit d’un long polissage de la bestialité.
Pierre Reverdy
Le feu dévorant, contenu, continué
Qui palpite dans le foyer des rêves,
Proche, si proche enfin du lard et du cochon
Nourritures terrestres, si terrestres
Que le ciel en pâlit d’envie
Le feu dévorant retient,
Retient la leçon des rêves qui se perdent
Dans ses flammes,
Le seul spectacle, le seul,
Dans lequel nous souhaitons nous jeter
Le feu dévorant
Contient la belle
Arrête la bête
Ne consomme rien que lui-même, énergie éperdue,
Dépense inutile, dépense dénuée de calcul,
Dépense, folle dépense
Qui dispense joie et angoisse
La belle n’en peut mais
La bête acquiesce, se repaît
Repasse par les affres du feu élu
La belle danse dans les yeux de feu de la bête
La belle dans la bête
La bête dans les yeux de la belle qui n’a qu’une idée en tête,
Chair fondue, fondante sous les dents de la belle qui mange la bête
La bête, la bête qui, d’un cheveu, manque à l’appel de la belle,
Cernée, avalée, engloutie, digérée, déféquée,
La bête poilue, fourchue, cornue, trapue, ventrue, fourbue, fichue, foutue, goulue
La bête aux abois surgit
Dans les bois du cœur, dénuée de chants, privés de murmures, dans le silence murée, mûrie
Aux aguets encore, lovée contre le parfum profond des bois qui s’avancent
Femmes-fleurs dans la clairière entament un chant profond
La futaie se tait, les taillis jaillissent
Lames de verdure,
Armes folles trempées dans la sagesse des larmes
Mel et fiel confondus
Amertume des jours perdus
Dans une langueur abstraite
Un souvenir ému
Un temps nouveau qui tarde, tarde, tarde,
Darde ses rayons froids encore
Engelures d’amour
Catapultent dans la stupeur
Givre de la présence
Neige éternelle des regrets
Grimaces mauves de l’épouvantail gelé
Jeté sur la plaine
Battue des vents
Loin encore, ignorant les prés découverts,
La renarde pointe le bout de son nez,
Hume la fraîcheur de la clairière en fleurs
Dans la nuit étoilée
Mais la lune rousse ne veut voir que la flamme de sa queue,
Ce panache roux qui prolonge l’instant de sa quête,
Ce pinceau qui remue l’espace de la noirceur-abri
La nuit n’est pas cette palette assourdie qui veille sur la venue du jour éclatant
De fraîches couleurs en attente d’éclat flottent dans les yeux des bois, le jour venu,
Mais la nuit n’a pas de ces délicatesses,
Annonce un autre monde
Où le noir souffle la couleur
Comme l’amante pressée souffle la bougie
Nuit et jour,
Chaque bête,
Chaque plante
Et jusqu’au souffle qui peigne les cimes
Respirent le calme trompeur
La bête cherche la belle,
La belle trouve la bête
Dans un combat décharné, la belle dévore la bête,
Recrache la glue de son souffle,
S’allonge dans les fleurs
Et digère l’attente.
Enceinte de la bête,
Nourrie d’elle,
Convoitant le moment où la bête surgira de ses entrailles,
A son tour la dévorera
Cycle sans fin des faims,
Abandon renouvelé aux charmes errants,
Et point d’usure à la pointe du vent,
Mais un grondement sourd, un froufrou désarmant, un souffle, un sifflement,
L’attente encore
Dans les corps débordés
Dans les cœurs débordants
Dans l’humide de la forêt promise au feu
Dans le trouble sans nom
Jean-Michel Guyot
9 novembre 2013