Retour à la RALM Revue d'Art et de Littérature, Musique - Espaces d'auteurs [Forum] [Contact e-mail]
  
Bestiaire
Navigation
[E-mail]
 Article publié le 1er avril 2014.

oOo

Verdeur

Voilà qui est dit.

Ainsi donc je serai le fer de lance d’une avant-garde éphémère.

Avant-garde préhensile qui sacrifie son temps et sa sueur, afin de baliser des chemins gris que d’autres jalonneront le moment venu.

Fruits du hasard et du temps qui se hasarde dans les recoins gris et blancs de la matière humaine, je file entre vos jambes, cours sur le muret, petit lacet d’émeraude.

Je fais partie d’un corps d’armée en voie de décomposition. Je suis l’éclaireur du déclin, l’enlumineur attardé dans des pages perdues.

Je suis le grand lézard vert qui se chauffe au soleil du Nord.

J’appartiens à la grande armée des ombres qui persistent et signent en Europe.

Poches de résistance proches du froid. Intense au moins, ce n’est pas là son moindre mérite.

Quelque chose se détrame dans l’air du temps, se perd dans l’air froid. Il n’est que de regarder le souffle de mes compagnons de marche. N’étaient leur visage, qui se soucierait de regarder en avant dans les hautes plaines et les basses terres de la rouge espérance.

Du sang a coulé ici. Jadis et naguère.

Le plan de bataille a disparu. Les traces sont nombreuses. L’air est si lourd. Il pèse sur les épaules, embrume l’esprit en proie au doute.

L’arc d’espérance a failli. Bandé par l’aurore qui n’a pas décoché ses flèches dans la bonne direction.

A l’Est rien de nouveau.

Et l’Ouest se perd dans l’océan. S’effrite. Gagne du terrain en lorgnant vers l’Est. Ces deux extrêmes s’appuyant l’un sur l’autre, voilà que l’axe Nord-Sud se contracte, frémit, puis s’endort dans des convulsions sans nom.

La main du destin, telle que dessinée là sur le muret chauffé par le soleil d’avril, ici en terre cévenole. De main en main passent les signes. Dans un sourire.

Un berger vient à passer que précède son troupeau de chèvres. Elles ne sont promises à aucun sacrifice. Elles essaiment dans le paysage tranquille, s’épaillent à flanc de montagne.

La plus basse branche d’un pommier ensauvagé ploie sous le poids des pattes avant de l’une d’elle qui savoure la pomme acide de son choix.

La grâce faite animal, loin de la bestialité humaine. Grâce soit rendue au berger et à son chien de rendre possible ce signe des temps.

Le frêle et le pourpre, dans un brouillard à couper le souffle. Stagnante brume que dissipe un orage en approche. Rase-motte assuré. Le corbeau sagace veille. Odin s’ébroue.

L’aigle dans les flammes, le corbeau dans la branche, le chêne massif devenu allumette, les terres saccagées, l’absence d’énigmes. Tout est rapporté par le corbeau qui se rapporte à tout.

La lance étincelle. La noirceur de son acier brave l’interdit.

Il est temps de remuer ciel et terre. Au nom de l’aride et de l’éphémère.

Les fontaines sont nombreuses, les sources innombrables. Le muret où je me tiens fleure bon le serpolet.

Je me glisse entre les odeurs, hésitant entre l’âcre et le suave, déclarant ma flamme au soleil ami.

Bientôt, la métamorphose sera complète. Je sens déjà tomber de moi les yeux de braise. Mais qui s’approche là dans les fourrés, vêtu de lin blanc ? Un foulard rouge ceint le front d’une figure qu’il faut dire féminine.

L’oubli approche à grands pas. La mémoire des lieux frémit. Un homme, une femme. Pariade et fête dansent dans l’air chaud, cette promesse faite au temps qui ajourne.

Les rayons de soleil tambourinent sur le muret gris.

Je me prélasse au soleil de juillet. Vienne la main qui saura me capturer. Je lui laisserai volontiers le bénéfice de mon être.

Là, en toute innocence.

Le loup

Trop longtemps, je me serai abaissé à baiser la main qui me nourrissait.

Un jour, j’ai mordu la main. Vorace, je l’ai arrachée. Je me suis enfui avec la palpitante coincée dans ma gueule immonde et je l’ai dévorée tout à mon aise dans un coin tranquille où je savais pouvoir être tranquille.

Qu’on me pardonne cette répétition qui me donne du bonheur.

Délicieux repas en effet qui acheva de faire de moi un loup solitaire.

Finies les caresses, finie la pâtée. Le toutou à sa mémé est devenu un loup sanguinaire.

Voici venu le temps de l’errance.

Chasser en meute, c’est mon rêve désormais.

Je ne désespère pas de rallier une meute un jour prochain. Ce n’est qu’une question de temps. J’en serai le maître incontesté, l’alpha et l’oméga.

Entre temps, je cours les bois, me nourrissant de baies sauvages et de petits rongeurs. Il n’y a pas de sot repas. Tout est bon à qui sait rendre à la forêt les biens qu’elle dispense.

J’ai les dents longues, le verbe acéré et tout le temps devant moi.

Parole de loup.

Explique qui pourra.

 

Le beau corbeau

Cela commença par une idée. Ca finit par un meurtre.

Avec des idées de meurtre en tête apprivoiser un corbeau blessé. Poser l’attelle sur son aile cassée, laisser le temps agir. Voir venir. Remercier la chance de l’avoir recueilli.

L’oiseau privé de ciel goûte au miel des hommes, y prend goût, devient jour après jour l’ami de son soigneur qui devient son seigneur.

Avec un corbeau commettre un meurtre particulièrement sanglant. D‘abord dresser l’oiseau, en faire l’épervier improbable qui, le jour venu, arrachera les yeux vivants de l’ennemi incrédule qui ne perd rien pour attendre.

Aide-soignant et tueur par procuration, voilà que notre dresseur se découvre une âme blanche dans un corps de noirceur, puis une âme noire dans un corps immaculé.

La nuit est son élément.

Une série de meurtres mit la police sur les dents. Elle dépêcha ses meilleurs limiers, en vain. 

Il fallait chercher dans les airs les fragiles indices.

Le corbeau, devenu ce petit drone qui arrache les yeux, rapportait docilement dans son bec l’œil sanglant à son maître content. Il cherchait à voir dans l’œil vitreux la dernière image qu’il avait fixé juste avant d’être arraché. En vain. Pas un seul trait de lumière dans cette masse sanglante, aussi légère qu’une plume, mais visqueuse à souhait.

Le meurtre suprême eut lieu à la tombée du jour. Entre chien et loup, un soir de septembre.

Le corbeau fut chargé par son seigneur et maître d’arracher l’œil jaune qui trônait dans l’azur.

Un meurtre de corbeaux rameuté par la bête noire s’attela à la tâche. Ce n’est qu’à la nuit tombée que l’affaire fut faite. Intransportable, l’œil agonisait sur l’horizon, réduit à l’état de masse jaunâtre-rosâtre, reconnaissable encore, mais plus pour longtemps.

Des témoins rapportent qu’une nuée de corbeaux se jetèrent sur le soleil, griffant de leurs ailes noires les premières rougeurs du soir.

A la nuit tombée, la terre ne fit qu’une bouchée du soleil mis en lambeaux.

La terre dans la nuit, la nuit sur la terre s’entredévorèrent tant et si bien qu’au matin un soleil jaune tout beau, tout neuf apparut à l’est sur la ligne d’horizon restée intacte, laissant à l’ouest le soin d’annoncer la nouvelle de son futur déclin.

Les corbeaux repus mais fourbus décidèrent alors de s’envoler vers l’ouest sous les regards de leur maître devenu borgne pour l’occasion. Il fallait faire bonne mesure.

On en cause encore dans les chaumières les soirs de pleine lune.

Si vous rencontrez un corbeau ou deux, voire un meurtre nombreux, ne maugréez pas, ne médisez pas ! Remercier cette sagesse aux plumes d’ébène légères comme l’encore noire d’avoir redonné vie et vigueur à l’astre jaune qui nous réchauffe.

Un peu de vos pages lumineuses se chargent de signes scintillants grâce à eux. Petites virgules vigoureuses, nos corbeaux chéris battent la phrase en rythme, accordent au flux de signes l’antique sagesse des errants.

Merci à Odin le sage, maitre des runes.

 

Hibernation

Au fin fond de sa caverne, bien au sec, notre ours des cavernes dort d’un sommeil profond.

Il se prend à rêver de l’été en hiver. Abondance de bien ne nuit pas.

Les graisses brûlent lentement sous l’épaisse fourrure.

Et ça ne fait pas un pli. Le friand chasseur rêve à la bête solitaire toutes les nuits que l’hiver fait.

Le chasseur n’est pas télépathe, mais son flair est incomparable. Un peu bête à ses heures, le gentil prédateur se mue en vilain viandard prêt à tout pour satisfaire sa passion de tuer.

Le printemps ramènera la bête solitaire au jour. Elle aura faim et soif, descendra dans la vallée se repaître.

Dans le rêve, le frileux chasseur vend la peau de l’ours avant de l’avoir tué. Comme il se doit. L’ours, lui, rêve encore dans l’hiver endormi.

Le miel et les baies, les larves et les saumons moribonds accompagnent sa digestion. L’ours digère son été et son automne dans l’hiver de son sommeil. Il ne rêve pas plus loin que le printemps qui tarde à venir, s’autorise une incursion dans l’été brûlant, hiberne tranquillement sans penser à mal, loin de toute convoitise déplacée.

Plus sage en cela que le meilleur chasseur qui n’a que sa ruse à opposer à la massive sagesse de la bête.

Fasse la vallée heureuse que le chasseur tombe dans un trou, y meurt une bonne fois, ainsi laisse l’ours vivre tout à sa guise dans cette splendeur.

L’ours court dans les prés fleuris, endormi qu’il est encore, bien au sec dans les tréfonds de sa caverne-refuge.

Un papillon bleu folâtre dans le rêve devenu papillon.

 

Jean-Michel Guyot

16 mars 2014

 

Un commentaire, une critique...?
modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides. Servez-vous de la barre d'outils ci-dessous pour la mise en forme.

Ajouter un document

Retour à la RALM Revue d'Art et de Littérature, Musique - Espaces d'auteurs [Contact e-mail]
2004/2024 Revue d'art et de littérature, musique

publiée par Patrick Cintas - pcintas@ral-m.com - 06 62 37 88 76

Copyrights: - Le site: © Patrick CINTAS (webmaster). - Textes, images, musiques: © Les auteurs

 

- Dépôt légal: ISSN 2274-0457 -

- Hébergement: infomaniak.ch -