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C'est dans la rue que j'ai rencontré Roger...
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 Article publié le 16 septembre 2018.

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C’est dans la rue que j’ai rencontré Roger Russel. Ou dans un bar. Je sais plus… Ou chez le boulanger mais je mange pas de pain. Je l’ai aperçu dans la vitrine du boulanger. Il aimait le pain français. Il secoua sa baguette tout en comptant les pièces qu’il refilait à la boulangère. Puis il est sorti tout guilleret. À cette époque, il était flic. Il construisait une maison en banlieue. Je crois même qu’il avait une femme et des gosses. Il éclaira un peu ma lanterne :

« Je lui ai donné ton adresse. dit-il en me prenant le coude. Une belle fille, pas vrai ?

— Je dormais quand elle a frappé à ma porte…

— Sacré Frankie !

— Elle m’a laissé un carton…

— Elle doit être chez elle ! Je t’accompagne. Je veux revoir ces guiboles.

— Ya pas son adresse sur le carton… Je sais même pas qui elle est…

— Tu déconnes… !

— Elle dit que j’ai de la chance…

— Fais voir…

— Je sais rien non plus sur cette chance…

— Un billet de cent… C’est pas grand-chose… Elle est pauvre ou rapiate… »

On s’arrête devant une vitrine de fringues. Roger me regarde droit dans les yeux. Il a l’air inquiet maintenant.

« Cette gonzesse, Frankie, tu la connais… C’est le flic qui te parle, mec. J’en connais des histoires…

— Ah ! ouais… raconte…

— Des tas… et toujours une souris dans le fromage…

Une souris dans le fromage… C’est Bébé qui va être content !

— Qui que c’est Bébé ? Ta meuf… ?

— Que non ! C’est mon patron. Je vais lui téléphoner que c’est bon pour Dimanche : Une souris dans le fromage. Ça va le brancher, ce conard d’exigeant !

— Pauvre Frankie… »

Roger me tenait toujours le coude. Dans les vitrines, j’avais l’air d’un aveugle, mais je l’étais pas puisque je me voyais.

« Parle-moi de ses guiboles, dis-je en traînant les pattes pour que ça ait l’air vrai.

— Deux merveilles ! Exactement symétriques. Même quand elle les croise…

— Elle les a croisées… ? Elle s’est assise sur ton bureau ?

— Non, tu parles ! On a fait la conversation dans la salle d’attente. Tu connais la salle d’attente du 7e, Frank. On y est à l’aise. Je l’avais en face de moi. Et elle a commencé à me poser des questions…

— Quel genre de questions ?

— Si je te connaissais aussi bien que je le prétendais… Si j’étais motivé pour te rendre service… Si je lui inspirais confiance…

— Si tu bandais… ?

— Non… Hélas. Rien de sexuel de sa part. Et je n’ai vu que ses jambes alors qu’elle était à moitié à poil. Légèrement vêtue si tu veux.

— T’as pas voulu en savoir plus… ?

— J’en savais assez ! Elle voulait qu’on te rende ta licence, mec… Et je lui ai pas demandé pourquoi ! T’imagines ? Je lui ai pas demandé en quoi ta licence la concernait !

— Elle a besoin de moi… De mes services… J’ai pas toujours été un minable pisse-copie sans histoires. Elle sait des choses sur moi et ça la met en chaleur, Roger !

— Ah ! lala ! Les femelles ! »

Sans cette chaleur, tu en fais quoi des femelles ? Des domestiques qui traînent la savate dans ton propre logis. Je me suis jamais souhaité ça. Qui était-elle ?

« C’est comme ça que t’as récupéré ta licence, Frankie…

— Je me souviens pas comment je l’ai perdue…

— Vaut mieux pour toi, mec. »

Roger en profite pour vérifier l’état d’un passage clouté. Juste le temps de réfléchir. Il mesure la largeur, l’épaisseur de la couche, prends le pouls des loupiotes… Je pense à rien, moi. Mais je rêve. Je suis un oiseau. Il paraît que c’est le mélange que je pratique qui me donne ces envies de voler. N’est pas oiseau qui vole. Le psy à qui j’ai dit ça m’a répondu que ça dépendait du vent et il s’est mis à rire en me prenant mon fric. J’ai descendu ses escaliers en quatrième vitesse pour lui faire plaisir. D’après lui, j’étais plutôt un mec à roulettes. Qu’est-ce qu’il voulait dire par là ? Que j’avais la descente facile. Je l’avais pas vu venir. Ah ! le salaud !

Roger referma son carnet de notes. Je sais pas ce qu’il foutait dans la police, mais c’était pas un enquêteur dans mon genre. Il vérifiait. C’était écrit sur la porte du bureau qu’il partageait avec une bonne vingtaine de types dans son genre. Bureau des Vérifications. Mais je doutais que cette gonzesse fût tombée sur lui par hasard. Il voulait pas me l’avouer, mais elle l’avait interpelé. Une gonzesse comme elle qui entre dans un bureau où vingt mecs croupissent dans leur attente se fait agresser sexuellement par vingt bites en chaleur. Or, ce fut Roger qui la reçut dans la salle d’attente qui elle est climatisée. Et c’est lui qui fut le plus près de ses jambes. À tel point qu’il a rien vu d’autre. Il était incapable de me dire à quoi elle ressemblait côté faciès. En plus, regretta-t-il, il avait lui-même effacé la vidéo de surveillance où il avait l’air plus con que d’habitude. Il était désolé de me priver d’un élément indispensable à défaut de papier d’identité. Pas une empreinte. Rien.

« C’est la première fois que ça m’arrive, reconnut-il. Destruction d’indices. Je te revaudrai ça, Frankie…

— Ouais mais comment ? Des guiboles, ça va pas suffire…

— T’en as pas, toi, des guiboles très au-dessus de la moyenne dans tes souvenirs… ?

— Des tas ! Je vais plus savoir…

— Mais dans l’intime… Là… Tout près… Une aventure… Une cousine…

— J’ai rien que ce bifton et cette écriture qui me dit rien…

— Ah ! si j’avais pas eu cette tête de con sur cette vidéo ! Je n’avais d’yeux que pour ces jambes… J’imaginais les commentaires… Ça te fait pas cet effet, toi, les guiboles… ? »

Roger était arrivé au bout de son voyage jambier. Il n’avait plus rien à me donner à part ces guiboles d’exception selon lui. Mais j’ignorais si on avait les mêmes goûts en la matière. D’ailleurs je suis pas spécialement guibole question femme. Je sais même pas comment que je les possède. Comment qu’elles cèdent à mes désirs. Ce qu’elles pensent de moi. Molly ment comme elle respire. C’est son métier. Et j’ai un rôle à jouer dans son laboratoire du cul. Lequel ? Je sais pas. maman est morte depuis longtemps. J’ai laissé Roger dans une rue. Qu’est-ce que je tenais, à part ma cuite chronique ? Une écriture inconnue, un billet de cent et des guiboles parfaites dans le goût de Roger qui n’était pas forcément le mien. Merde ! que je me dis. J’aurais pu en parler avec lui. On aurait été faire un tour chez un libraire spécialisé en guiboles. J’y vais jamais. Roger devait en connaître des tas. On aurait passé du temps ensemble. J’ai besoin d’un ami. Et j’étais là à me lamenter devant la vitrine d’un confiseur quand Chico Chica m’a hélé de l’autre côté de la rue. Il avait des nouvelles de Roger. J’ai traversé.

« Déjà ! m’étonnai-je. On vient de se quitter…

— Il a pas bien effacé, dit Chico Chica. Ah ! ces disques durs !

— C’est drôle comme le temps passe sans moi ces temps-ci…

— Ça n’a pas été facile, mais on y est arrivé ! On la voit bien sa gueule, Frankie !

— Des fois j’ai l’impression de reculer dans le temps… Je me rapproche des êtres de cette façon. Je sais bien que c’est pas la bonne méthode pour se socialiser. Mais j’en connais pas d’autres. Je sais pas où j’ai appris… J’ai peut-être pas appris… je suis né comme ça… Comment que t’es né, toi, mon personnage ? Y en a qui veulent connaître ce détail cristallin de mon expérience. Une souris dans le fromage, par exemple… »

 

 

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