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 Article publié le 14 juillet 2008.

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Le Marché de la Poésie a rendu hommage au poète Aimé Césaire, disparu le 17 avril 2008, qui déclara en 1943 la poésie maudite, « maudite parce que connaissance et non plus divertissement. Maudite, parce que caravelle des lointains intérieurs. Maudite, parce que levant l’interdit des mers noires. Maudite, dans le sillage de Prométhée le voleur, d’Œdipe l’assassin. Maudite dans le sillage des découvreurs du monde » (Tropiques 8-9).

Pour allumer le feu

L’extincteur de la maudite

A VéLib ou à pied

Des places sont à prendre. Un Allez tous vous faire enculer s’affiche sur fond rougeâtre. Ne vous bousculez pas. Un extincteur est à disposition pour calmer l’emportement le cas échéant !

L’accueil-poète tique aux yeux et toque dans les gencives. Ah ! la poésie des grands maux s’affiche pour se faire remarquer sur la Place Saint Sulpice. Le Marché de la Poésie de Paris, en ce jeudi d’ouverture, a planté son ciel crachouillis et la bougie humide, la 26ème, tente d’éclaircir l’horizon pour laisser fleurir sur les étals ses vers moulus d’inspiration ! Enculer ! Oh ! Voilà qu’au siècle des lumières de l’internet, le poète s’encanaille en naïve posture prosodique. Enculer ! Adolescence de l’art de la provocation. Enculer ! Oh ! Crachez-moi, ces mots que je ne saurais entendre. Merde quoi ! Enculer ! Oh ! Que dis-je. C’est un comble, une pique. Misère. Voilà qu’à la fin de l’envoi un Fils de pute s’affiche, lui aussi, sur fond bleuâtre suivi d’un Gros bâtard sur fond beigeasse. Provocation poétique à trois sous. L’enfonce du lard. « Ma sœur, j’ai fait gras ». Mais cela vous sera pardonné, mon fils. Sur la place Saint Sulpice coule la fontaine des quatre points cardinaux, ornée de ses quatre évêques prédicateurs : Bossuet, Fénelon, Fléchier et Massillon. Sous leurs regards de bronze, la poésie s’étale et s’empale, volant la place au bi hebdomadaire marché aux fleurs du quartier Saint Germain. Effeuillons la poétique. Je t’aime, un peu, beaucoup, pas encore… poésie maudite.

Ribambelle d’affiches

En veux-tu en voilà de La poésie. Placardée à l’infini. Elle s’affiche sur les palissades du marché aux fleurs d’un Paris pollué. Tartinée. Tartinée à perte de vue. En restera-t-il quelque chose ? Oui, toujours. Elle s’affiche et elle ose, la maudite. Rafales d’affichettes. Mitraillage pour imposer la maudite. Pan, pan, pan, pan, pan… Poésie, poésie, poésie, poésie, poésie… Poétisez pour empêcher les autres d’écrire. Pour empêcher les autres de tempoéter plus fort qu’il ne faut. Barbouillée. Barbouillée qu’est la poésie. Pataugez dans les « lointains intérieurs » s’égosillait lucidement Aimé Césaire. Ecoutons-le, grand diable ! Le poète est claivoyant.

Cette enfilade d’affichettes au graphisme typoétique du peintre créateur Michel Mousseau, nous banderille les yeux : poésie, poésie, poésie, poésie, poésie… à l’infini. Elle pilonne. Mais tirez la première Madame la poésie. N’en jetez plus. On en (re)veut ! La coupe n’est pas pleine. La révolution est en marche, semble-t-il. Elle ne cesse de se mettre en marche. Elle ne cesse de se mettre en quatre, hein ? Pied à pied. Cette barricade palissée d’affiches est un signal comme un mur infranchissable. Défoncez, la barricade. Rejoignez-nous. Enrôlez-vous. Venez bouffer de la poésie maudite. Venez en croquer à vous en faire péter les pensées. La poésie est, plus que jamais, entrée en résistance. Trop de poèmes. Pas assez de poètes. Pas assez d’éditeurs dignes de la fonction. Pas assez qui piquent aux fesses des maudits poètes. Qui les poussent. Trop d’éditeurs imprimeurs, de publieurs. Convenue la poésie. Enfermée la poésie. Etouffée la poésie. Attention. Jetons-la à terre. Piétinons-la. Crions-la. Chantons-la. Sortons-la des étagères poussiéreuses et institutionnelles où on la confine et décollons-la de son papier buvard. Bavarde, la poésie. Elle doit bavarder, faire tache, descendre dans la rue. Ne nous contentons pas d’afficher l’affiche, d’annoncer et de prophétiser sa venue en ces lieux. Aimé Césaire, lâcheur du mois d’avril dernier, nous avait prévenu : la poésie est maudite, « parce que connaissance et non plus divertissement ». Donnons-lui voix au chapitre.

C’est la débanderole pour la maudite

C’est fichu, la poésie débanderole. Dégringole. On le prédisait. Et sur les bancs publics, bancs publics… personne n’y pose son fessier pour l’y croquer. « Attention piétons. Traversez au passage piétons, 40 m, rue Bonaparte ». Attention poétons, à 40 m. Attention, Waterloo du vers. C’est là, une des entrées du Marché de la Poésie, maudite poésie « dans le sillage des découvreurs du monde ». En sommes-nous là ? Tient-elle son rôle ? D’alarme ? De phare ? Fontaine de Jouvence saint-sulpicienne de la beauté, du bonheur, de la misère, du macabre, de la mise en garde, de la persévérance… de la vie ! Le tient-elle, ce putain de rôle ? Plus rien ne semble l’indiquer. Gavés, que nous sommes. Occis par l’air du temps. Des temps. Doucement. Mais sûrement. Surmenés. Malmenés par la sur-information d’une société multi-communicante, écrivailleuse et fainéante. Saturant nos serf-veaux multi-déprimés par ce rouleau compresseur qu’est le convenablement égalitaire affiché au fronton des mairies. Tous égaux sauf devant la loi, devant la vie, devant l’ego, devant le talent. Ego multi disproportionné du pédant poète ou ego multi talentueux du poète lumineux. Mais, réveille-toi, la poésie. Secoue-toi. Secoue nous le cocotier. Ne te laisse pas envahir par le tumulte sournois et inaudible d’une poésie mondaine, intéressée, subventionnée, embourgeoisée et installée. Découvre-toi d’un fil, puis de deux… Détricote la pelote. Ne fais pas que dégringoler de ta banderolle. Affiche du divin et de la vision à l’ouvrage sociétal et littéraire. Sors de tes bande-rôles. À défaut, de nous demander d’aller nous faire enculer, fais nous bander. Fais nous sortir de nos jeux de rôle par la seule poésie qui vaille et qui saille, celle inspirée, volontaire, aventureuse, populaire. Aïe, aïe, aïe ! Du cardiaque nom de dieu !

Poubelle, cercueil de la maudite

À la Porte B1 du Marché de la Poésie trônent les poubelles vertes de la ville capitale. La bouche fermée. Elles attendent leur pâture. Prêtes à gober sous l’affiche décollée. Serait-ce la poésie qu’elles attendent ? Serait-ce là, le cercueil de la maudite ? Signes prémonitoires ou élucubrations de chantpoète. On ne brûle plus les livres aujourd’hui, on les pilonne. Zéro stock. Stock zéro. Tyrannie du contrat d’édition. Pillage moral et humiliation suprême du poète dépossédé de son œuvre. On marche sur la tête du poète. On solde tout. C’est la période. Tout doit disparaître ou réapparaître. Même la poésie. Au Marché de la Poésie, on nous fait le marché.

L’entrée mystique de la maudite

On tape le carton

Toujours à la Porte B1, les pochoirs de la Miss.Tic s’imposent. « Je n’ai de maternelle que la langue » écrit la tageuse au pochoir. Lucky Luke parisianiste, plus rapide que son ombre, qui pochoirdise l’éternel féminin sur les murs de Paris. Hum, la femme, muse inspirante et aspirante du poète où le vice versa nécessairement. 1er grand cru de l‘inspiration poétique « levant l’interdit des mers noires ». S’ajoutent à cela les effluves alcoolisés des rouges de Bourgogne qui taquinent les narines jusqu’aux marches du palais des sens. Ah ! On déguste chez Lecellier, Porte B1. On tape le carton. On refait le monde aussi. Petit kawa serré. Les poètes maudits pleurent leurs conditions : le mythomane envahissant, le prétentieux modeste, le jaloux méprisant, le discret talentueux, le sage qui se garde bien de penser, le silencieux qui n’en pense pas moins... Tout poète que nous sommes, n’en reste pas moins homme ! Poésie maudite, va !

Jean-Claude CINTAS

 

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