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Article publié le 17 novembre 2010. oOo Spectacle créé en 1976 avec Anne-Marie Massé
Mise en scène Gilbert Bourson
Hérodiade - Acte premier - première partie Écoutez Hérodiade en streaming.
Le poème « Les noces d’Hérodiade » que Mallarmé destinait à la scène, l’amena à considérer que le théâtre de son temps ne pouvait en aucun cas le digérer comme drame, ne comportant aucun des éléments qui en constituaient les règles. Il en fut de même pour « l’après midi d’un faune » qu’il comptait confier à Mounet Sully. La notion de théâtre associée à celle du Livre est encore quelque chose de différent et ne requiert plus la scène au sens physique du terme. Des « noces d’Hérodiade » Mallarmé voulait faire quelque chose qui soit proche de la tragédie. Mais du fait de sa poétisation extrême, comme « l’Empédocle » de Hölderlin, le poème ne pouvait à l’époque être représenté du fait de son manque d’intrigue. Aujourd’hui, la scène accueille le poème, mieux qu’en le « récitalisant », mais en récupérant la dramaturgie qui le sous-tend, en faisant « apparaître le théâtre que ce fut » selon la formule géniale de Mallarmé. Bien évidemment, à l’époque où je tentai cette aventure, nous n’étions pas légion et cependant cela se diabolisait quelque peu. Mon but était de faire entendre les constellations de sens, ce qu’entendait Mallarmé par le lustre où s’expose le texte comme dans le miroir du sonnet en x. Tout était signe dans ce spectacle qui n’offrait comme « concession à la rétine », qu’une imagerie restreinte. Néanmoins il y avait beaucoup à voir et à entendre : objets habillés, maquettes manipulées, diction musiquée à l’extrême, travail des voix, lectures simultanées produisant des glissements sémantiques restituant les hésitations du manuscrit, faisant entendre la gestation dramaturgique de l’écrit. Il est évident que nous pratiquions alors l’intertextualité, plusieurs textes d’autres auteurs venaient parenthésiser celui de Mallarmé, comme preuve au sens mallarméen du terme. Gilbert Bourson
Gilbert Bourson est publié chez Le chasseur abstrait :
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Commentaires :
A propos... par Gilbert Bourson
Je ne sais pas si cette opération Mallarméenne fut ma Béatrice, mais elle fut certainement une des plus exaltante de ma vie d’homme, laquelle se tient, (devrais-je dire se joue ?) sous le lustre de ce théâtre dont rêvait (réalisait ?) Mallarmé. Cette majestueuse ouverture sur le mystère dont on est au monde pour envisager la grandeur, la scène devrait en être le lieu par excellence. Nous fûmes quelques-uns à tenter cette opération y engageant nos corps et esprits dans les années 70, ce, sous l’influence de Grotowski et donc inspirés par le théâtre et son double d’Artaud. Artaud ne tentait aucune théorie du théâtre mais tentait de substituer à la notion de spectacle celle d’action véritable, rejoignant ainsi Mallarmé disant : le théâtre est d’essence supérieure. Faire vibrer la corde de l’instrument qui est le corps de l’acteur devenant le corps de tous, était l’impératif d’alors. Quand je vais au théâtre aujourd’hui je le vois végéter dans sa moralisante exposition des faits et sa psychologie où s’agitent des rôles qui personnifient. Parfois il est aidé, tant il est impuissant à montrer l’homme entier, par la technologie qui lui tient lieu de Lieu. La pensée (la mise en scène) y est remplacée par des illustrations filmées et des effets sonores censés remplacer le geste matériel et nu de la pensée. Dirais-je de l’idée ? Hamlet n’est pas un personnage de théâtre à jouer ou à interpréter, mais le théâtre même. Cette conduite et ces enregistrements témoignent de ce rêve éveillé réalisé dans sa scénographie où rien n’aura eu lieu que le lieu. Il me semble que le théâtre attend ses horribles travailleurs prédits par Rimbaud.
La pensée interprétée par Gilbert Bourson par Patrick Cintas
Sans doute est-ce parce que le texte, pour peu qu’il relève d’un art, ne peut pas être à la portée de tout le monde, que Gilbert Bourson met en scène la pensée. Cette seule action sur la présence l’éloigne définitivement, et vraisemblablement depuis fort longtemps, de toute velléité intellectuelle. Et pourtant, il n’est pas rare que le béotien le taxe d’intellectualisme et le rejette, non sans procès, dans sa poubelle à choses qu’il n’est pas en état de comprendre.
D’ailleurs, qui pense dénoncer la teneur intello de telle ou telle apparition textuelle, par principe fonde les siennes sur des idées, la plupart du temps cueillie au fil des sujets les plus galvaudés de l’actualité et des vitrines passagères. Il s’éloigne ainsi de toute forme d’art et introduit son ectoplasme brandissant par un pathétique « l’idée c’est… » suivi des plus plates banalités dont sa coquille est capable.
Il en va tout autrement du poète Gilbert Bourson.
J’en veux pour preuve (et ici ce sera la seule alors que la RALM foisonne avec elle) cette Hérodiade dont la valeur de « noces d’Hérodiade de Stéphane Mallarmé-mystère » fait office de manifeste. De la date de sa création sur scène, en 1976, dont on peut écouter ici l’enregistrement sonore intégral, à la publication par mes soins de la conduite qui servit, comme son nom l’indique, de pupitre aux acteurs du spectacle, plus de trente ans ont passé et les dix ans qui se sont ajoutés à cette édition ne l’ont pas vieillie d’une seconde.
Je veux dire que le poète, celui qui met scène la pensée au lieu d’en bavasser, tient encore et toujours les rênes de sa passion toute racinienne, celle qui consiste, Beckett le dit, à faire parler les personnages au lieu de les jouer.
N’étant moi-même qu’un dramaturge occasionnel sans projection au-delà de la rampe, il ne me revient pas de faire, ou de refaire, la théorie qui secrète ces planches. Ci-dessus le poète a par deux fois pris la parole pour, je crois, pousser l’auditeur plus que pour le guider. J’y vois une formidable occasion d’entretenir une discussion sur le sujet, lequel ne se limite pas à éclairer, s’il se peut, le théâtre lui-même, mais étend ses sucs bien au-delà de la poésie et du roman.
Ici, en quelques lignes sans doute bien mûries, Gilbert Bourson, comme par réplique, impose sa marque, non sans références, et pas des moindres ! Ceci mérite commentaire, à foison, car ne sommes-nous pas nous-mêmes des artisans du poème, de la narration et de tout ce qui ressortit aux instances du texte ? Ici l’endroit est bien choisi pour laisser libre cours à la discussion. Le lecteur, si possible sans pratique textuelle d’aucune sorte, y reconnaîtra les siens… et interviendra selon ses choix ou mieux encore ses perspectives, les mêlant aux interventions sûrement pertinentes des auteurs de la RALM.
Va voir chez Bourson si j’y suis ! par LUCE
Les intellos me font chier.
Gilbert Bourson ne me fait pas chier.
Donc Gilbert Bourson est un poète.
Au peintre qui lui demandait où diable il allait (Stéphane) chercher ses idées, le poète répondit (selon Valéry) qu’on ne fait pas des vers avec des idées, mais avec des mots, tout comme il ne viendrait pas à l’esprit du peintre (surtout Degas) de peindre sa danseuse avec une idée forcément a posteriori de l’effet produit. L’expérience hégélienne a ainsi son charme et revient au galop chaque fois qu’on oublie que c’est sur la selle qu’on galope le mieux et non pas en reluquant les sujets les mieux cotés de l’actualité et des choses de la vie.
Les loufiats de l’écriture ne s’avancent sur la terrasse qu’en fonction de l’idée qu’ils ont de la « littérature ». C’est sur un dada manifeste qu’ils trottinent autour des guéridons où s’attablent les paumés sauvés par le service rendu. En voilà des idées ! mais question texte, ça ne vaut pas tripette. Une belle bite ne t’inspire d’abord aucune idée. Tu veux goûter. Et une fois que c’est fait, des idées te trottent par la tête et ça te donne envie de recommencer. C’est à ça que ça sert, les idées. Pas à composer du texte sur sa machine.
Les mots, faut pas les prendre au pied de la lettre. Il est nécessaire de les gratter un peu. On les trouve chez soi, rarement chez les autres, à moins de savoir comment on devient autoclète. Encore l’expérience. Celle d’une paire de godillots, d’une console et de son miroir, ou d’une bouche d’égout et de son réverbère. Ça donne des idées, mais après. Pas avant. Si c’est avant que tu as des idées, alors tu bavasses dans la choucroute des nouvelles et de la chanson. Ce qui ne fait pas de toi un poète ni même un auteur.
Comment veux-tu apprécier l’expérience si tu n’y as pas encore mis les pieds ? Ou si tes hypothèses d’amour et de politique sont parfaitement (ou autrement) fausses ? Mais le loufiat des Lettres, par université ou chômage, a le crâne bourré d’idées qui lui font d’abord du bien, qui le poussent à écrire ensuite et qui au bout du chemin ressemblent à des idées et non pas à ce qu’on s’en fait quand on a du sang de poète dans les veines.
Marre d’avoir envie de chier après lecture de ces graphomanes. L’orgie textuelle que propose Bourson, c’est quand même autre chose que les essais, narratifs et autres, que ces pisse-copie tartinent dans les meilleures revues, dans et hors les murs.
Passons sur les rombières et les ducs de la culture municipale. Sont cradocs de l’esprit, mais qu’est-ce que ça change ? On en rencontre à tous les coins de rues à l’approche des boutiques. Font pas de mal. Sont inutiles et on s’en fout. Mais dès que le loufiat s’approche de moi pour me servir, alors que je n’ai pas pris place ! je me bouche le nez et c’est moi qui chie. Ah mais je dis pas qu’il faut s’en débarrasser ! Comme dit l’autre, « c’est des personnages. Ça peut toujours servir. »
J’irai pas jusque-là… Marre de me torcher au lieu d’écrire selon l’inspiration. C’en est du boulot ! Et c’est celui d’une bonne revue de faire le ménage de temps en temps. Cela dit, j’aime l’écriture selon Bourson et j’en fais mon spectacle hebdomadaire.
J’y connais rien en théâtre (j’y vais jamais) mais les pistes de réflexion proposées par Bourson me semblent bien prometteuses, si toutefois il consent à s’y remettre lui aussi. Faudrait consulter aussi, mais à condition que le patient ne soit pas trop pourri par ses escarres. Faut dire qu’à force de vouloir passer pour un penseur, le loufiat ne sait toujours pas se servir d’un plateau sans rien faire tomber à nos pieds impatients de calter sans laisser de traces. Ouvrez vos gueules si seulement les mots ont un sens caché et surtout frétillant comme une feuille d’automne. Marre de vous le répéter !
Juste une idée, comme ça, en passant par Jean-Michel Guyot
S’attacher à développer une idée n’est pas s’attacher à elle, mais la laisser se détacher d’elle-même au risque qu’elle se perde en route dans des ramifications qui ne peuvent en rien la défigurer, privée de figure qu’elle est lorsqu’elle s’élance vers elle-même à l’état embryonnaire ou larvaire.
L’idée de départ, embryonnaire, n’aurait qu’à germer, se développer et se révéler dans toute sa magnificence.
La métaphore de l’embryon suggère qu’une idée en germe possède pour ainsi dire un code génétique qui va diriger tout le développement ultérieur de l’idée.
L’image de la germination implique elle aussi que toute la séquence de pensée est en germe, c’est-à-dire préalablement codifiée.
Une idée qui se présente à l’état larvaire serait, quant à elle, susceptible de métamorphoses, l’idée finale étant alors le papillon, d’abord larve puis chrysalide, avant d’être ce magnifique papillon qui enchante le regard contraint de le suivre dans ses virevoltes incessantes.
Oublions les larves, les embryons et les germes.
S’attacher à développer une idée n’est pas s’attacher à elle, mais la laisser se détacher d’elle-même au risque qu’elle se perde en route dans des ramifications qui ne peuvent en rien la défigurer, privée de figure qu’elle est lorsqu’elle s’élance vers elle-même à l’état embryonnaire ou larvaire.
Une idée qui se détache d’elle-même ? voilà qui pose problème.
L’idée initiale procède de saut en saut, sautant par-dessus elle-même pour échapper à tous les éléments qui la déterminent : vécu profond et ancien, vécu de la veille, impressions durant le sommeil de nature cénesthésique, pensées du soir, soucis, préoccupations diverses, douleurs physiques.
C’est un jeu de saute-mouton, à cette nuance près que le mouton A n’a pas plus d’existence que le mouton B, et ainsi de suite. Une pensée qui procède par bond ne bondit pas plus par-dessus elle-même qu’elle ne germine-chemine longuement en suivant la pente douce de ses déterminismes.
L’idée comme dialogue de soi avec soi est pure illusion.
L’idée initiale, bienvenue et saisie au vol dans un élan de joie enfantine, doit faire et fera l’épreuve de l’étranger. Elle devra se perdre dans des raisons qui lui sont étrangères. Ce n’est qu’à ce prix qu’elle révélera peut-être tout son potentiel d’inattendu. Beaucoup de l’élan initial sera perdu en route, mais on ne sème pas de petits cailloux le long du chemin comme on sème des graines.
La seule chose à laquelle je puis m’attendre, c’est l’inattendu.
Dans une tension de tous les instants, quitte à ménager des pauses salvatrices et propices à une relance de l’argumentation.
Lorsque je me lance dans une recherche, je sais que les idées ne sont ni devant moi ni derrière moi. Elles se manifestent de-ci de-là, elles clignotent. Ce sont des lucioles qui ne se déplaceront jamais en essaims d’insectes sociaux. C’est moi, et moi seul qui établit des liens ou non entre divers points lumineux qui me paraissent susceptibles d’éclairer une question. Car enfin, disons-le enfin : il s’agit non pas, tout de go, de fournir des réponses mais de poser au mieux un certain nombres de questions qui doivent être hiérarchisées pour être dûment posées.
Les pertes sont considérables. Les points lumineux ne sauraient être tous pris en considération, c’est humainement impossible. L’inattendu ne jaillira pas d’une totalité enfin révélée, mais d’un mouvement vif de l’esprit qui choisit de configurer ainsi et non autrement la géométrie mouvante des données qu’elle accueille.
Le jeu de la pensée avec elle-même, avant toute idée préconçue, voilà l’objectif poursuivi.
La matrice d’une idée qui émerge au petit matin emprunte à tout ce que le cerveau a engrammé précédemment, révélé de façon confuse mais toujours scénarisée par les rêves observés dans l’état de demi-sommeil.
Une pensée veille sur les idées en sommeil qui ne se savent pas encore exister, sachant qu’elles n’existeront vraiment que constituées, extirpées qu’elles furent d’une masse confuse d’impressions et de sensations, d’émotions et de réflexions. Ainsi l’on peut dire que la pensée est à l’avant-garde constamment en avance sur elle-même. Elle devance son propre mouvement en ce qu’elle est une impulsion donnée à des éléments en apparence incohérents et qu’elle s’emploiera tout au long de sa démarcher à organiser en cohérence.
Une première idée fuse et croît aussitôt - premier rameau - puis bifurque sans crier gare : une autre idée se développe - un rameau secondaire en quelque sorte - qui ne ralentit que momentanément la croissance du rameau principal.
Tout cela à une vitesse proche de celle de la lumière.
Tout cela a lieu si vite qu’il n’est possible de l’observer qu’au lever, quand la pensée commence à fuser et à s’organiser avec la plus grande vivacité. On peut alors, tout à loisir, observer la pensée à l’œuvre en s’attachant à en suivre son évolution spontanée extrêmement rapide. Il faut prendre les mots au vol et retranscrire au plus vite ce que la pensée a produit durant un laps de temps très bref pour ensuite le développer, l’infirmer, le confirmer, la contradiction étant le moteur de toute pensée rompue à l’exercice de penser contre elle-même pour ne pas produire de l’idéologie.
Le point de départ est une sorte de nébuleuse d’idées qui ont peut-être couru dans le cerveau durant la nuit, plus vraisemblablement au petit matin, durant le temps ambigu de la semi-veille entrecoupée de rêves rapides et désordonnés qui semblent tous poursuivre le même but : l’émergence d’un ensemble d’idées encore confuses que seule la pensée pleinement éveillée pourra réaliser, sans évidemment émettre quelque censure préalable que ce soit, seul le résultat final permettant a postériori de juger de la validité des chaines de raisonnement qui ont produit une idée claire et distincte dont la valeur ou l’ineptie pourra alors apparaître en toute netteté.